Habitué des grosses machines d’action pleines de bons sentiments (Blood Diamond, Les Insurgés), des fresques romanesques ultra-lacrymales (Légendes d’automne), Edward Zwick revient à un cinéma plus modeste dans sa forme. Il retrouve ses premières amours, puisque la comédie romantique lui avait ouvert les portes du cinéma en 1986 avec À propos d’hier soir. Si Love et autres drogues reste un gentil « plaisir coupable » de fin d’année, ce film offre à Zwick l’occasion d’investir de façon astucieuse — et très stratégique — un genre éprouvé.
Love et autres drogues s’affiche comme une comédie (pas) romantique, à tonalité dramatique. Le film se joue du modèle de la « comédie du remariage », en se déployant sur sa formule stable avec une légèreté calculée. Un type un peu à la dérive, style adolescent attardé (Jamie Randall, vendeur sexaholic au chômage), erre dans le monde du travail sans conviction : il débute comme commercial pour un laboratoire pharmaceutique grâce à son geek de frère. Sa nouvelle activité le conduit à se faire passer pour un interne auprès d’un médecin et à observer une patiente dénudée, Maggie Murdock, atteinte de la maladie de Parkinson à 26 ans. La jeune femme comprend vite que Jamie est un représentant de la société Pfizer, qui s’est rincé l’œil avant d’essayer de lui refourguer sa marchandise. La réaction de la belle malade est violente et sa force de caractère surprend Jamie. Le tchatcheur professionnel va voir en elle un défi à la mesure de son besoin permanent de séduire. Mais cette femme va le bouleverser en profondeur. Indépendante et déterminée, Maggie refuse de faire entrer un homme dans sa vie. Elle utilise Jamie pour assouvir des besoins charnels éphémères, avant de le mettre à la porte. Cependant, comme le veut la « rom com », ces deux êtres que tout semble a priori opposer par leurs modes de vie vont se découvrir des sentiments insoupçonnés, contre lesquels ils ne parviendront pas à lutter.
Il s’agit d’un film sans grande surprise stylistique, ni particularité esthétique remarquable. Ne cherchons pas là un quelconque élément pour décrire ce produit commercial assumé, qui n’est pas dénué d’intérêt pour autant. Love et autres drogues est un film de producteurs, un projet de studio confié à un réalisateur complice. De ce fait, il apparaît clairement conçu comme un pur produit : on cherche à séduire un public le plus large possible en multipliant les portes d’entrée dans le film. L’imbrication d’enjeux narratifs participe à une indétermination stylistique notoire. Love et autres drogues flirte maladroitement avec le style Apatow quand il décrit de manière burlesque la vie d’un jeune commercial dans l’univers impitoyable de la vente d’anti-dépresseurs et de pilules miracles : le personnage de Jamie s’inspire directement de Jamie Reidy, auteur de Hard Sell : The Evolution of a Viagra Salesman. Mais la description décalée d’un milieu médical corrompu sert finalement juste de prétexte au déploiement d’une histoire d’amour à l’originalité relative, qui ne parvient pas à éviter la mièvrerie dont elle prétend se passer. On se joue des lieux communs d’un genre perçu comme le temple de la mièvrerie pour éviter de segmenter le public-cible. Ainsi, la relation de Maggie et Jamie relève au départ de la seule satisfaction physique, sans que les sentiments n’aient leur place. Certes leurs relations sexuelles énergiques sont montrées sur le mode pudique de l’ellipse, mais ce n’est que pour mieux dévoiler ensuite leurs corps entièrement dénudés dans un repos complice. La récurrence de plans montrant la nudité n’est pas surprenante en soi, mais elle l’est dans le cadre d’un film commercial distribué par la Fox. Notons que les deux amants ont le droit au même traitement : les fesses de Jake Gyllenhaal comme celle d’Anne Hathaway sont mises en valeur par la lumière rasante du loft de la demoiselle. Les abdominaux du cow-boy et les jambes élancées de la princesse Disney sont utilisés comme les premiers atouts de séduction d’un public mixte. On simule l’élan de rébellion, hors des normes du genre, pour draguer clairement un public non acquis à la cause de la comédie romantique. Ainsi la sexualité devient l’élément central de la relation des deux personnages, et par conséquent le seul enjeu de réflexion en termes de mise en scène pour Edward Zwick. Les acteurs ne sont pas en reste dans la stratégie marketing qui construit l’originalité artificielle du film. En jouant une malade de Parkinson décidée à profiter de la vie tant qu’elle le peut encore, Anne Hathaway poursuit l’opération commencée avec Rachel se marie pour nous prouver à quel point elle est « rock’n’roll ». Jake Gyllenhaal joue les clichés de la virilité, puis la sensibilité retrouvée, pour alimenter son image d’acteur sexy.
Sans être jamais dupes de toute cette machination, on se laisse ça et là prendre au jeu face à l’efficacité de certaines scènes, comme la déclaration d’amour de Jamie sous la forme d’une crise de panique aiguë. Le moment d’épiphanie de la comédie romantique est éludé par une astuce comique. Ce choix tient à distance une émotion sensible qui s’exprimera cependant dans le dénouement du film par la naïveté du happy end. Love et autres drogues fonctionne sur le mode du déplacement et de la rupture. Le rire, avec son effet cathartique évident, est ainsi conçu comme un détour éphémère pour mieux plonger ensuite dans le drame. Nombre de scènes comiques ne servent qu’à différer temporairement la complexité sérieuse de la relation de couple, dont la pérennité est compromise par la fragilité croissante de Maggie. Le film témoigne d’une certaine intelligence dans la représentation d’une femme jeune, atteinte d’une maladie que l’on pense encore souvent réservée aux personnes âgées. Les symptômes de Parkinson sont montrés par touches sensibles pour devenir un enjeu central à mesure que sa relation avec Jamie devient sérieuse. Dans son approche pudique de la maladie, le film trouve une subtilité inattendue.