L’affiche du film a recours à un mythe aussi immémorial dans ses composantes (la femme-enfant, le mélange sexe/innocence) que très contemporain dans sa réalisation, ici plus ironique qu’hypocrite : fausse gaminerie de la jeune femme libérée, superficielle mais pas trop. Ravissantes jambes croisées, grands yeux rêveurs et assurés à la fois : la pose campe le personnage. Rose bonbon (cliché de la féminité enfantine) et mauve (fusion avec son « opposé » le bleu) : les couleurs suggèrent un éventuel dévoiement du cliché…
Las ! l’ironie qu’on veut lire sur cette affiche est-elle bien celle qu’elle entend suggérer ? Finalement, si le mauve est plus présent, c’est le rose qui, sémantiquement, l’emporte. Son ironie est alors sournoise, et se fonde sur de désolants présupposés. Les partenaires commerciaux de la sortie du film ne surprennent qu’à moitié, mais l’accroche, elle, choque carrément : « Vous allez adorer ! Votre mec va détester !» Sous-entendu : 1°) déjà, si vous prenez la peine de lire cette affiche, c’est que vous êtes une fille ; 2°) puisque vous êtes une fille, vous allez forcément aimer ce film « pour filles » – laissez donc votre personnalité et votre esprit critique au vestiaire ; 3°) les mecs ne comprennent rien aux nanas, hi hi hi ! Bref, consternant. La guerre aux représentations sexistes est loin d’être gagnée. C’est d’autant plus dommage que le film vaut mieux que ça, qui joue notamment d’un certain esprit gay référencé et faussement superficiel, tout en démontant – un peu schématiquement peut-être – quelques a priori sur les étiquettes de genre et de sexualité.
À travers notamment sa citation de Diamants sur canapé, film préféré des protagonistes qui se joue par petites touches dans leur vie, le film se penche sur les relations que peut entretenir une femme avec les hommes selon qu’ils soient homos ou hétéros. Peter, scénariste homosexuel et colocataire de l’héroïne Jacks, se plaint du fait que Paul Varjak, le voisin et ami de Holly Golightly qui était « gay » dans le roman de Truman Capote, soit devenu « straight » dans le film de Blake Edwards : d’après lui, ça change tout, parce qu’ « une fille se sent plus en sécurité avec un homo»… De fait, savoir (ou croire) qu’aucun horizon sexuel n’est en jeu avec un homme engendre une forme particulière d’intimité qui met à l’aise Jacks, l’autorisant entre autres à se balader à poil sans redouter un regard concupiscent. Mais le film montre en quoi il s’agit là d’un refuge, d’un cocon rassurant qui permet de fuir une certaine réalité. Il remet surtout en cause l’idée reçue qui voudrait qu’un homme créatif, sensible, doux, attentionné et rassurant pour une fille « en » soit forcément… Chez Capote, il y a en filigrane l’idée que les hétérosexuels, ces rustres, n’en veulent qu’au corps des femmes, et qu’en conséquence seuls les homosexuels savent aimer vraiment ces dernières, puisque d’un amour sans sexe, donc gratuit et absolu – le revers de cette médaille étant une certaine idéalisation du corps de la femme, le déni de sa réalité charnelle.
Le déni de réalité, les rapports entre réalité et fiction, la première n’égalant jamais la seconde et la seconde permettant de fuir la première autant que de l’affronter : autant de questions que le film, qu’on ne sent malheureusement pas habité formellement par un sujet, soulève de façon assez plate. On a droit à une ouverture politiquement correcte sur l’ambition de saisir la « réalité vraie » – en l’occurrence celle de la crise économique argentine – plutôt que le mensonge des photos de mode. On peut s’amuser d’une petite pique sur le cinéma français, le seul au monde à ne pas savoir s’évader et à garder le nez collé à la réalité (on notera au passage que le film est produit par EuropaCorp, la compagnie de Luc Besson)… Peter le scénariste illustre, à travers ses répliques et ses actes, l’impossibilité de faire coïncider fantasmes et réalité. Quant à Jacks (interprétée avec beaucoup de peps par Brittany Murphy, qui ne cherche heureusement pas à se placer sur le même registre qu’Audrey Hepburn), elle a tendance, comme Holly Golightly, à fuir la réalité de l’amour, ses plénitudes et ses souffrances, en couchant sans aimer et en aimant sans coucher, ne récoltant que frustration et mélancolie.
Peut-être manque-t-il à tout cela un peu de cruauté. Non pas de sadisme, ou de cynisme : il y en a une dose raisonnable dans la satire que propose le film des milieux de la photo, du cinéma, des vente aux enchères et surtout de la mode (en cela, il a quelque chose à voir avec Le Diable s’habille en Prada). Témoin, entre autres, la scène du gala de charité, qui pointe, caricaturalement mais non sans saveur, l’hypocrisie et la fatuité des organisateurs de ce type d’événements. Non, ce qui manque, c’est la cruauté amère et profonde que cèle la légèreté chez Blake Edwards, l’audace par exemple d’un sous-texte hanté par la question de la prostitution. Il est vrai que Love se veut avant tout une comédie pétillante, sans noirceur ; pourquoi pas. Il lui faudrait alors un peu moins de manières, un peu plus d’authenticité et d’efficacité.
Le problème majeur du film est qu’il joue au petit malin. Naviguant artificiellement entre second degré et sérieux, sentiment et afféteries, il a besoin de tout expliquer dans ses répliques ou dans ses procédés formels. Il s’encombre surtout d’une mise en abyme sans subtilité (bribes de scénario s’affichant sur l’écran, film dans le film) qui, censée appuyer sa « réflexion » sur le fossé entre réalité et fiction, fait figure de gadget. Cette dimension méta plombait déjà, il y a quelques mois, une autre comédie romantique, vraiment mauvaise celle-là : The Holiday de Nancy Meyers. Laquelle s’inscrivait aussi dans une tradition, sans élire un film de prédilection mais en empilant les références à un âge d’or du film hollywoodien auquel elle entendait rendre hommage. Aveu de faiblesse de la comédie romantique contemporaine ? Il est évidemment fort louable de payer son tribut aux aînés, mais à ce point-là, ça confine au masochisme, à l’impuissance ! S’il s’agissait d’un ambitieux défi, force est de constater qu’il n’a pas été relevé, que la barre a été placée trop haut…