Raviver les angoisses paranoïaques du Polanski des années 1970 dans les paysages « à couper le souffle » de son Chili natal : voilà l’ambition affichée de Sebastián Silva avec ce Magic Magic. Doté d’un casting « indé » en béton armé, le film patauge tranquillement, fait des effets par amour des effets, et suit son chemin rigoureusement balisé auquel seul le finale, unique bouffée d’originalité, échappe.
C’est une histoire connue : nous voilà entre amis, prêts à partir pour des vacances bien méritées, quand soudain une maman bien intentionnée lance ces mots malheureux : « ah ben t’as qu’à emmener ta petite cousine avec toi ! ». Sourire forcé, consternation rentrée, soupir exagéré : conscients de l’inutilité des protestations, on prend la cousine par la main et on obtempère. Étonnez-vous après ça que tout le monde en veuille à la malheureuse : au lieu d’un week-end sexe, drogue et alcool, le programme devient cueillette des champignons, tournois de crapette et balle aux prisonniers. Saluons donc la gentillesse des protagonistes de Magic Magic : nonobstant le fait que la cousine Alicia (Juno Temple) s’avère être hautement lourdingue d’entrée (« bon, on y va, on est déjà en retard ? »/« Ah oui mais non, il faut qu’Alicia prenne une douche »…), Brink (Michael Cera), Barbara (Cataline Sandino Moreno) et Agustín (Agustin Silva) la tolèrent, font ce qu’ils peuvent pour l’intégrer, et, dans l’ensemble, s’efforcent de l’aimer bien. Mais Alicia, forcée de voyager sans sa cousine, retenue pour quelques heures, angoisse : bientôt, les petites taquineries de ses compagnons de voyage deviennent de véritables agressions, le tout considérablement intensifié par le manque de sommeil d’une Alicia insomniaque.
Tout cela pourrait être terriblement pesant, effrayant, si le réalisateur ne prenait pas un soin méticuleux à désamorcer chaque moment de tension en le ramenant au réel dans les instants qui le suivent. Alicia, schizophrène en train de se déclarer, devient donc une insupportable gamine geignarde dont la psychose nous est infligée comme autant de séquences lourdement explicatives. Tout fier de sa volonté de se frotter au genre de l’horreur, Sebastián Silva suit une partition mille fois vue, avant tout chez Polanski, que le réalisateur cite volontiers comme influence majeure. Pire encore, lui qui dit apprécier – à très juste titre – la liberté créatrice offerte par l’épouvante n’en fait absolument pas usage. L’« inquiétante étrangeté » qu’il entend susciter tombe à plat, même dans les scènes baroques comme celle impliquant une jeune fille à la culotte remplie de sang ou celle mettant en scène un cunnilingus des plus inattendus. Énoncer ces scènes semble simplement suffire à Sebastián Silva, qui les imbrique dans sa narration sans qu’elles aient la moindre incidence sur sa narration ou sur ses personnages. Les décors écrasés par les éléments d’un Chili primal, grisâtre, potentiellement étouffant, qui semblent tant tenir au cœur du réalisateur ? Ils sont également éloignés de toute matière filmique, la problématique de l’espace se résumant à enfermer les personnages dans quelques plans serrés aux couleurs ternes.
Aussi est-on étonné lorsque, dans les derniers moments, la récit prend une tonalité aussi tragique que magique, insistant curieusement sur une piste entrevue au début du film : l’opposition entre les Indiens et les Blancs. Les voilà, l’inquiétante étrangeté, les cassures de rythme, les pertes de réel : la personnalité filmique qu’on a tant attendue – et qui clôt le film avec une rudesse qui laisse pantois. Dommage qu’il ait fallu suivre des sentiers balisés, 1h30 durant, pour finir par aimer se perdre, pour à peine quelques instants.