Palmarès du festival :
— Section « Courts métrages » : Prix émotion Kookaï pour L’Autre Monde de Romain Delange, Prix du public pour Diplomacy de Jon Goldman, Prix CinéCinéma pour Vostok’ de Jan Andersen.
— Section « Longs métrages » : Prix de l’avenir pour Vegas : Based on a True Story d’Amir Naderi, Prix du public pour La Nana de Sebastián Silva, Prix du jury pour L’Autre Rive de George Ovashvili.
Ci-dessous les impressions de la rédaction sur la compétition internationale, section « Longs métrages ».
Eddie et Tracy Parker, anciens joueurs compulsifs, vivent avec leur fils Mitch à la périphérie de Las Vegas, à l’écart du bruit lancinant des machines à sous et des lumières envoûtantes des grands casinos. Après avoir passé de nombreuses années dans une simple caravane, les accros repentis ont pu s’installer dans un bungalow, une modeste maison préfabriquée aussi fragile que leur équilibre retrouvé. Le seul signe extérieur de richesse de cette famille où désormais chaque penny compte : un jardin verdoyant et fleuri entretenu avec soin par Tracy et son fils au milieu de la poussière désolante du désert. Quand un jeune inconnu, prétendant être un marine tout juste rentré d’Irak, leur offre d’acheter la maison pour une somme bien supérieure à sa valeur, il réveille leur intérêt compulsif pour l’argent. Et lorsque cet homme dévoile que le jardin cache en fait un butin d’un million de dollars, Eddie se laisse emporter par l’ivresse de l’appât du gain, emportant progressivement femme et enfant dans cette frénésie destructrice et vaine.
Vegas – Based on a True Story est un conte moderne, basé sur un fait divers en effet réel : le casse d’un casino de Vegas en 1965 par le gang Gibson, qui aurait été contraint de cacher son butin dans un jardin de la région dans sa fuite, alimentant les fantasmes de tous les propriétaires du moindre bout de terrain à cette époque. Cette véritable légende urbaine nourrit la vision subtile et distanciée d’Amir Naderi, réalisateur iranien expatrié aux États-Unis, sur la société de consommation américaine et sur le dollar-roi. L’utilisation de la caméra vidéo HD s’avère ici particulièrement pertinente pour donner un grain d’image à la froideur chirurgicale et décortiquer scrupuleusement la déchéance lente et inéluctable d’une famille broyée par un rêve d’opulence illusoire. La certitude de leur échec est suggérée par ces plans larges récurrents de la ville de Las Vegas, dont les temples du jeu sont maintenus à distance, derrière l’écran de fumée d’une poussière désertique persistante. L’essentiel du film se déroule donc sur le mode du huis clos, dans la petite propriété des Parker, où le désordre du jardin mis à sac et de la maison laissée progressivement à l’abandon prend l’allure d’un happening sans fin, rythmé uniquement par le bruit routier lancinant de l’Interstate 15 séparant la petite bourgade de la grande Sin City. Le film reste ouvert, sur un goût d’inachevé. La narration se dilue dans la folie galopante du personnage d’Eddie, seul au milieu d’un terrain défriché, et laisse le spectateur avec un sentiment de malaise, témoin impuissant d’un délitement annoncé. Déjà présenté au festival de Venise 2008 sans avoir remporté de suffrage, ce film bercé par la torpeur du Nevada n’apparaît pas non plus comme un candidat sérieux pour le palmarès de Paris Cinéma.
Sell Out !, Yeo Joon-Han, 2008, Malaisie
Dans le Kuala Lumpur aussi sombre que pétillant de Yeo Joon-Han, le conglomérat Fony règne sur tous les secteurs de la consommation, en quête permanente et unique de profit. Dans la branche Fony TV, la jeune et belle Rafflesia Pong présente une émission d’art qui ne rencontre pas le succès d’audience nécessaire pour engendrer les bénéfices souhaités. Déterminée à réussir, Rafflesia va donc proposer un concept de reality show surprenant, ne renonçant jamais devant les questions d’éthique. Dans la branche Fony Electronics, le jeune ingénieur Eric Tan ne parvient pas à convaincre ses patrons de l’intérêt commercial de son invention, un appareil « tout-en-un » spécial soja, trop bien conçu pour être rentable selon les normes des décideurs. Face au dilemme de la créativité et de la rentabilité, sous les lois du grand capital, Rafflesia la battante et Eric le rêveur, eux-mêmes produits d’une société globalisée et mondialisée, vont devoir trouver le moyen de s’imposer pour voir leur travail reconnu, quitte à y perdre un peu de leur humanité…
Sell Out ! est le premier long-métrage du Malaisien Yeo Joon-Han, déjà présent au Festival Paris Cinéma en 2007 pour son court-métrage Girl in a Soap Bubble. Cette année, avec sa comédie grinçante parsemée de numéros musicaux, il ne peut qu’emporter l’adhésion du public français. Son propos critique sur le monde de l’entreprise, à la transnationalité évidente, est construit avec humour et légèreté, parodiant au passage film d’auteur et comédie musicale. Sous le regard de Yeo Joon-Han, les médecins sont incompétents et corruptibles, les patrons idiots, autoritaires et obsédés par l’argent, les médias abrutissants… Dans un monde à deux vitesses, où « l’argent n’aime pas les pauvres » (thème d’un beau numéro musical articulé sur les images au style documentaire de laissés-pour-compte), le plus grand mal réside dans une solitude généralisée, générée par la compétitivité et la rentabilité exigées du système capitaliste et frappant toutes les classes sociales. On ne peut que se délecter de voir les deux décideurs, dont dépend aussi bien Rafflesia qu’Eric au sein du groupe Fony, effrayant par leur seule apparence les vendeurs d’un grand magasin. Pour obtenir un simple renseignement, un des deux bosses se trouve contraint de courser un vendeur dans les étages du centre commercial, jusqu’à ce que le jeune employé bedonnant s’étale sur le carrelage !
Avec son rythme entraînant, son style décalé mais accessible et son propos fédérateur, Sell Out ! ne possède certes qu’une originalité de façade et s’affiche comme un pur produit pour l’exportation internationale. En jouant la carte de la parodie, Yeo Joon-Han travaille à l’efficacité pour nous faire rire à l’envi. Mais la satire d’un système audiovisuel entrepreneurial, nourri des SMS surtaxés d’un public envoûté par le scintillement des projecteurs, est bien plus pertinente que celle suggérée par Danny Boyle dans le récent Slumdog Millionaire (2009) – où le sens de la dérision se noyait rapidement dans le mélo et la mièvrerie. Avec Sell Out !, la distance ironique est toujours claire et participe au ton doux-amer, parfois même sombre, d’une comédie extrêmement bien écrite, oscillant entre poésie, absurde et burlesque. On ne peut que souhaiter une belle carrière en salles à ce film, qui mérite d’être projeté sur le plus grand nombre possible d’écrans.
Breathless, Yang Ik-june, 2008, Corée du Sud
Sang-hoon (Yang Ik-june lui-même) est le meilleur homme de main de Man-sik, recouvreur de dettes ordonnant à son équipe une efficacité à tout prix. Sang-hoon trouve dans ce travail peu reluisant l’occasion de déverser toute sa colère, en frappant sans réserve aussi bien les débiteurs effrayés que ses coéquipiers. Cet homme apathique, inexpressif, en apparence vide de toute émotion, croule sous le poids de la solitude, brisé par la disparition d’une mère et d’une sœur détruites par la violence paternelle. Mais sa rencontre fortuite avec Yeon-hee (Kim Kkobbi), une jeune lycéenne effrontée et arrogante, bouleverse l’équilibre du quotidien chaotique de Sang-hoon. Malgré son éternel uniforme coquet et son gilet rose bonbon, Yeon-hee n’est pas une poupée en porcelaine. Embêtée par un frère violent, irresponsable et toujours fauché, la jeune fille s’occupe seule de son père atteint de la maladie d’Alzheimer. Yeon-hee doit rappeler chaque jour au malade la mort de sa femme, ce qui alimente sa propre douleur face à cette disparition maternelle soudaine. La rencontre improbable de Sang-hoon et Yeon-hee, deux êtres brisés et désabusés, peut conduire vers le chemin étroit de la rédemption, du pardon et de l’apaisement. Mais peut-on briser la sphère infernale de la rage ?
Breathless est un film d’une grande violence, frontale et animale : on ne s’y bat qu’à l’aide de son propre corps, recourant parfois à des ustensiles métalliques pour achever le travail rapidement. La caméra, avide de plans rapprochés, fragmente l’image trouble des corps meurtris. Fébrile, nerveuse, toujours en mouvement, elle accompagne deux protagonistes évoluant sur la corde raide, profitant dans de courts instants de sérénité pour mieux replonger sans cesse dans un univers d’une violence paralysante. Chaque effronterie est réprimée avec une sévérité disproportionnée. À la moindre difficulté, les hommes assènent des coups dans un élan compulsif, quand la femme, aussi jeune soit-elle, tente de s’en protéger en vain et garde son calme pour préserver la cohésion d’un semblant de famille. Dans Breathless, la sanction corporelle peut devenir parfois langage, comme lors de la première rencontre entre Sang-hoon et Yeon-hee, véritable duel d’humiliation. L’intrigue du film se construit ensuite pas à pas, dans l’opacité du gangster pathétique, condamné à la violence et à la solitude comme tous ses confrères avant lui, en Corée comme ailleurs. Ici, pour chaque Sang-hoon qui tombe, un autre se lève à sa place et continue d’asséner une souffrance physique parfois mortelle, en oubliant qu’il en a été lui-même la victime collatérale par le passé. Ainsi Breathless expose le délitement inéluctable des liens familiaux et sociaux dans une violence pandémique. La beauté du film réside dans les scènes calmes de tête-à-tête entre Sang-hoon et Yeon-Hee, où ces deux êtres sauvages s’apprivoisent peu à peu. Ce n’est qu’ensemble, sans se regarder, qu’ils réussiront finalement à verser des larmes trop longtemps contenues et à partager leur souffrance dans un silence d’une grande dignité.
Malheureusement, le premier long-métrage de Yang Ik-june n’est pas exempt de maladresses. La fréquence rapprochée des insultes, participant d’une violence toujours latente, alourdit les dialogues et fait passer les personnages pour des types caricaturaux. Dès les dix premières minutes du film, on comprend la dureté et la mansuétude de l’univers dans lequel ils évoluent. Il n’est donc pas nécessaire de nous matraquer de « connard » et « salope » pour signifier l’âpreté des quartiers pauvres. Cela aurait plutôt tendance à stimuler une lassitude déjà engendrée par les temps morts d’un film qui traîne parfois en longueur, pour nous réveiller dans le dernier quart d’heure dans un dénouement (évidemment) tragique et précipité. Déjà primé au festival asiatique du film de Deauville (Lotus du meilleur film et Prix de la Critique internationale), Breathless est tout de même un film intéressant, permettant de découvrir un jeune cinéaste encore en devenir, avec autant de qualités que de défauts pour le moment. À suivre…
La Nana, Sebastián Silva, 2009, Chili
Début du film : la famille Valdes célèbre l’anniversaire de la bonne, Raquel, quarante et un ans dont vingt années de service dans cette maison. Les enfants sont heureux de lui offrir quelques présents, mais la domestique, gênée et fatiguée, n’a pas franchement le cœur à la fête. Cette première scène pose les bases des relations hiérarchisées et inconfortables entre les personnages et annonce les caractéristiques d’une mise en scène toujours simple et efficace. Dans son uniforme austère, vestige d’un autre temps, Raquel effectue ses lourdes tâches journalières avec méticulosité, fière de satisfaire les besoins de cette famille de la grande bourgeoisie. Organiser et faciliter leur quotidien est devenu avec le temps sa seule raison d’être, sa fonction résumant désormais son identité. Personnage mutique et renfrogné, cette femme de l’ombre n’en est pas moins une femme de caractère, aussi exigeante envers elle-même qu’envers les autres, ce qui lui vaut de se heurter régulièrement avec l’aînée de la famille. Quand Mme Valdes décide d’engager une nouvelle bonne pour seconder Raquel, affaiblie par de violentes migraines, la domestique dévouée redoute de se trouver évincée non seulement de sa fonction, mais aussi, et avant tout, du cœur des enfants Valdes.
Second long-métrage de Sebastián Silva, récompensé au Festival de Sundance 2009 (Prix du meilleur film étranger et prix d’interprétation féminine), La Nana est une comédie dramatique finement menée. L’essentiel de l’action se déroule dans la grande maison des Valdes, représentée comme le territoire d’une domestique hyperactive. Si elle respecte l’autorité de ses patrons et répond sans broncher aux injonctions de la clochette et de l’interphone, Raquel a développé un sentiment de possession envers cette maison et ses habitants, réprimant toute intrusion extérieure. Elle éduque les enfants et seconde en tout point des parents infantilisés par son efficacité et sa réactivité. La relation entre Raquel et Mme Valdes témoigne de rapports de pouvoir ambigus : la maîtresse de maison ne parvient pas à sa domestique, bien qu’elle ait conscience de sa responsabilité dans la démission prématurée des autres bonnes successives. Mais, chez Raquel, charisme et autorité cachent une forme de claustrophobie destructrice. Rares sont les scènes où nous voyons cette domestique dans un autre espace que celui de cette demeure familière et protectrice, qui la tient pourtant éloignée de sa propre famille et lui empêche d’en construire une. Recluse dans une maison immaculée, Raquel ignore et redoute le monde extérieur. Le jardin est déjà un territoire étranger : elle évite de le fréquenter, mais se plaît à y contenir les bonnes indésirables, en les dehors. Ce réflexe maniaque constitue un véritable running-gag, teintant le film d’une pointe d’humour bienvenu. Quand la caméra vole quelques images de son corps nu, c’est pour révéler une silhouette lourde et fatiguée, comme prématurément vieillie par les travaux physiques. Un corps éteint qui ignore le plaisir des étreintes.
Film de personnages organisé sur le mode du huis clos, La Nana est pourtant le récit d’un voyage : celui de Raquel vers les autres et vers son propre bonheur, comme une épreuve nécessaire, cristallisée par sa rencontre magnifique avec une jeune bonne. Seule à voir la détresse derrière la froideur de la domestique, la pétillante Luci mesure avec effroi la souffrance engendrée par l’isolement. Fustigeant la permanence de rapports de classes archaïques par la simple démonstration du quotidien de Raquel, Sebastián Silva nous offre un film poignant, où quelques rares instants de comédie viennent alléger le drame d’une femme égarée dans sa propre existence. Le film doit beaucoup à la performance de Catalina Saavedra, dont l’interprétation tout en retenue donne corps à un personnage aussi bouillonnant que fragile. Copieusement applaudi en fin de projection, La Nana sera visible sur les écrans français en octobre prochain grâce à ASC Distribution. Le rendez-vous est pris !
London Nights, Alexis Dos Santos, 2008, Grande-Bretagne
À Londres, dans le quartier d’East End, un jeune Espagnol trouve refuge dans une usine transformée en grand loft, dont les habitants vont et viennent au rythme des soirées festives. Axl a quitté Madrid dans l’espoir de retrouver la trace de son père, un Anglais qui l’aurait abandonné quand il avait trois ans. Avec l’aide d’un nouvel ami, Mike, il découvre que son père est agent immobilier dans la capitale britannique. Il se fait alors passer pour un étudiant à la recherche d’un appartement, afin d’approcher cet homme et de glaner quelques informations sur sa vie, avant de lui révéler peut-être sa véritable identité. Mais Axl découvre un homme à la vie conventionnelle et confortable, loin de l’image paternelle décadente qu’il s’était forgé pour s’expliquer tant d’années de silence. Axl aurait pu comprendre, voire plaindre, un homme déchu, mais ne supporte pas la triste normalité de la réalité, qui le ramène à sa propre insignifiance et à la violence de l’abandon. Dans le même squat, vit Vera, une jeune Française expatriée, discrète et solitaire, lasse de son emploi de libraire et de ses soirées ternes. Meurtrie par un chagrin d’amour, elle rencontre un bel inconnu et se lance dans une relation construite sur le mystère. Les deux amants se donnent rendez-vous d’une fois sur l’autre, sans avoir la possibilité de se contacter. La passion amoureuse et l’amour du jeu les enivrent, jusqu’au jour où chacun se retrouve à attendre seul dans une chambre vide. Axl et Vera, deux êtres errants, perdus, fragiles, dont la rencontre tardive rimera avec l’espoir d’une sérénité retrouvée.
Trois ans après Glue, histoire d’un adolescent en quête de son identité sexuelle, Alexis Dos Santos réalise avec London Nights un film sensible et sensuel, déjà nommé pour le Grand Prix du Jury au festival Sundance 2009. Au rythme d’une bande-son rock vibrante d’émotions, London Nights suit avec langueur des personnages évanescents, uniquement liés par un même besoin d’amour viscéral. Il est dommage que le film perde en France son titre original, Unmade Beds, tant l’élément « lit » occupe une place centrale et symbolique dans les vies d’Axl et Vera. Axl compte les lits où il s’est couché depuis son départ de Madrid. Vera photographie les lits avant et après l’amour. Le lit, seul point de chute dans leur errance : lieu du repos et de l’apaisement, lieu de transit et de passage, lieu d’oubli après des soirées de saoulerie, lieu d’ivresse corporelle et d’initiation à une bisexualité ludique et éphémère, lieu d’abandon et d’amour… Le parcours d’Axl et Vera s’apparente finalement à l’histoire d’un deuil, celui d’un passé chargé d’une douleur trop présente. Fernando Tielve, avec son allure burtonienne, incarne une forme archétypale de l’adolescence, timide et fragile malgré la fantaisie de son apparence. Déborah François interprète le rôle d’une jeune fille mélancolique, sans âge et sans attaches, simple incarnation de la douleur amoureuse. La nostalgie du personnage de Vera contamine son environnement, illuminé par les flashes fugaces de son appareil photo Polaroïd et la musique grésillante et syncopée des disques vinyle entassés dans le sous-sol du squat, un lieu anonyme adapté à ces personnages déracinés. Dans l’univers onirique et coloré d’Alexis Dos Santos, l’utilisation fréquente de longues focales isolent subtilement les personnages, prisonniers de la bulle de leurs états d’âme. London Nights est avant tout un film d’ambiance, mais il n’en reste pas moins un film touchant, laissant un souvenir éthéré, comme un rêve…