Keanu Reeves aux commandes d’un film d’arts martiaux – à défaut de susciter l’impatience, le projet a le mérite d’intriguer. Acteur peu expressif, capitalisant depuis des années sur le côté cool des Matrix, Reeves semble avoir oublié la nuance de ses rôles de My Own Private Idaho et Beaucoup de bruit pour rien. Qu’en sera-t-il, pour ce premier passage derrière la caméra ? Si l’acteur demeure parfaitement inexpressif, il fait preuve, en tant que réalisateur de Man of Tai Chi, de quelques intuitions sympathiques.
Bloodsport
Mark Donaka (Keanu Reeves) est un homme sans pitié, brutal et mystérieux. Organisateur de combats clandestins, il est surveillé par la police de Hong-Kong, particulièrement par l’inspectrice Sun Jingshi (Karen Mok). À la recherche du combattant ultime, Donaka va s’intéresser à Chen Lin-Hu (Tiger Hu Chen), qui pratique le tai-chi d’une façon novatrice et inattendue. Chen va-t-il parvenir à conserver l’équilibre de son Chi, ou succomber aux volutes corruptrices et destructrices de Mark Donaka ? Voilà un synopsis qui, au moins, ne s’embarrasse guère de modernité – on croirait ce pitch sorti d’un des multiples films d’arts martiaux ayant fleuri en Occident dans les années 1980, et depuis bien plus longtemps en Orient. Au croisement d’une adaptation de jeu vidéo (l’enchaînement des combats en salle fermée, opposant différents style, évoquant irrésistiblement SoulCalibur ou Mortal Kombat) et d’une resucée desdits films, Man of Tai Chi ne surprend guère côté castagne – d’autant plus que le film fait preuve d’une relative sagesse, en regard de la fureur plus moderne d’un Raid. Mais Keanu Reeves n’a clairement pas l’intention de jouer dans la même cour.
Tai Chi Amateur
De façon surprenante, Man of Tai Chi s’attache avec constance à enrichir le fond de son scénario : on va ainsi s’attarder sur le quotidien de Chen, et soulever quelque peu le voile recouvrant l’organisation de Donaka – qui, en bon méchant bien traditionnel, tient autant de Fu Manchu que de Blofeld. Sur ces piliers narratifs, Keanu Reeves semble vouloir construire un film à l’ancienne, catalogue de scènes de combats, mais qui aurait soigné son argument, considérant celui-ci comme autre chose qu’un simple prétexte. Peut-être même le réalisateur et son scénariste Michael G. Cooney (issu de l’univers du jeu vidéo) envisagent-ils un véritable hommage à la philosophie du tai-chi. Formellement peu inspiré, Keanu Reeves ne veut pas brusquer son film, ce qui le rend efficace, mais lisse. Dans son rôle mystérieux et mutique – un classique pour lui –, l’acteur est éclipsé par à peu près toute la distribution, depuis un Tiger Chen à la présence à l’écran élégante et fluide, jusqu’à un Simon Yam là pour un petit cameo et toujours aussi charismatique – mais que voulez-vous, tout le monde n’est pas Simon Yam. Pour autant, le film se tient, et constituera une friandise rétro, naïve et sincère pour les amateurs.