A priori, le projet Mary et Max a de quoi exciter : remarquablement stylisé, intelligemment écrit, avec un sujet loin d’être évident, et un casting vocal plus que pertinent… N’en jetons plus. Et pourtant, Mary et Max laisse un triste goût d’inachevé. Comme quoi, même avec les meilleures intentions…
New York, moderne Babylone, creuset de tous les melting-pots, s’est trouvé un nouveau chroniqueur. Au croisement du Woody Allen de Manhattan et du Paul Auster de la Trilogie new-yorkaise, Adam Elliot nous narre donc l’incroyable relation épistolaire de Max Jerry Horovitz, misanthrope angoissé, terrifié par les rues de la grosse pomme, et touché par une forme particulière d’autisme, et de Mary Daisy Dinkle, petite fille australienne solitaire, dont les parents se noient dans l’alcoolisme et dans une taxidermie maladive. D’une rencontre épistolaire parfaitement hasardeuse – Mary choisit le nom de Max par hasard dans un annuaire – va naître une relation d’une rare intensité, du pain béni pour un cinéma en recherche de pureté de sentiment.
Autant le dire de suite : d’un point de vue formel, Mary et Max laisse tout simplement pantois. Visuellement somptueux, avec une photographie d’une rare intelligence, une mise en scène remarquable, sans même mentionner l’animation image-par-image d’une impressionnante maîtrise, le film laisse loin derrière les autres productions similaires, particulièrement Le Sens de la vie pour 9.99$ de Tatia Rosenthal, un film auquel nous reviendront tant la comparaison s’impose entre les deux. D’une fluidité remarquable, Mary et Max ajoute à cela un sens très pertinent de la caricature, qui en fait un film profondément attachant.
Là où Tatia Rosenthal prenait l’option de donner corps visuellement au réalisme poétique des nouvelles d’Etgar Keret, adoptant un ton plus littéraire, Mary et Max choisit d’utiliser pleinement le potentiel cinématographique de son sujet, avec un sens aigu de l’outrance visuelle. Profondément grotesques, ses protagonistes n’en demeurent pas moins, et c’est tout à fait judicieux, les destinataires de la tendresse profonde d’Adam Elliot. On en revient à Paul Auster, qui posait un regard très similaires sur ses personnages dans Smoke et Brooklyn Boogie : la tentaculaire New York accouche, malgré tous ses défauts, malgré tout ce que le cliniquement angoissé Max y perçoit, de personnages dignes d’être aimés.
Il en va évidemment de même pour les Australiens : une fois débarrassés du récit les parents parfaitement infréquentables de Mary, tout le monde est beau et gentil, tout le monde triomphe de ses angoisses… Car à la différence du Sens de la vie, Elliot campe de somptueux personnages, secondés par des acteurs faisant un véritable travail de voice acting (Philip Seymour Hoffman est fantastique)… mais choisit de ne pas creuser. Car, malgré le soin manifeste apporté à tous les aspects techniques du film, malgré la capacité d’Elliot à créer une âme, il ne parvient pas réellement à exploiter ce talent.
On se focalisera donc sur le trouble misanthrope de Max, sur ses conséquences sur une Mary qui n’est pas très équilibrée non plus, mais sans jamais tenter d’élever le niveau du récit. Ce qui s’imposerait aisément comme une parabole sur la solitude urbaine, sur l’aliénation des humains à leurs semblables, ne reste donc qu’un récit profondément pathétique sur la maladie d’un homme, et le désespoir d’une femme en devenir.
Non que ce récit ne vaille pas la peine d’être raconté – mais la manière d’Adam Elliot transforme vite Mary et Max en film débordant de pathos, forçant la pitié de son spectateur, au détriment du fragile édifice de finesse et d’humanité qu’il tentait de construire. Prendre cette option narrative fait ressortir, au fil du récit, la tendance prononcée d’Adam Elliot à recourir à la coïncidence (comment Mary retrouve la première lettre de Max, comment un colis de celui-ci vient la chercher au moment où elle tente un acte désespéré… jusqu’à la coïncidence finale). De là, le caractère de fable un tantinet lénifiante finit par oblitérer la tendresse, l’attention que l’on portait aux protagonistes de Mary et Max, et on ressort du film avec le soulagement d’en avoir fini avec un récit – encore un – qui privilégie le pathos à une plus grande attention portée à ses personnages et à l’honnêteté de son récit. Dommage, mille fois dommage.