Réinterprétation du célèbre mythe grec, Médée Miracle transpose l’infanticide en une reconquête de soi dans une société hostile qui ramène sans cesse l’héroïne à sa condition d’étrangère. Si la lecture contemporaine de l’œuvre laissait présager une puissante orientation politique, l’interprétation des acteurs – en premier lieu Isabelle Huppert – flanque tout par terre.
Isabelle Huppert en Médée, un petit air de déjà-vu ? Certes, on se souvient d’elle dans la peau de cette tragédienne grecque version Euripide au Festival d’Avignon 2000 sous la direction de Jacques Lassalle. Ici, on la retrouve dans la peau d’une Médée de cinéma qui n’est pas celle que l’on croit. Nommée Irène, elle est une immigrée d’un pays de l’Est non identifié et chante tous les soirs dans un cabaret un arrangement de Crazy Love (Marianne Faithfull, Nick Cave), devenue ici une insupportable mélopée glauque servie par un improbable accent anglais.
Tonino De Bernardi, figure du cinéma indépendant et expérimental italien qui habituellement ne travaille pas avec des acteurs professionnels, a muri le désir de ce film après une rencontre avec Isabelle Huppert au festival de Locarno en 1993. En transposant Médée au XXIème siècle, il entend en faire une figure de l’immigrée à laquelle on refuse l’intégration, jusqu’à nier son identité. Il choisit d’orienter le mythe grec vers la reconstruction de l’héroïne : l’infanticide, ici, restera au stade de fantasme violent, d’échappatoire à la condition d’Irène, abandonnée par Jason pour une Française, privée du droit de garde de ses enfants. Le miracle, dans cette Médée, c’est donc qu’elle ne tue pas ses enfants. Pourquoi donc ? Eh bien parce qu’elle a décidé de « consacrer sa vie aux autres », de virer sainte – voire martyre – plutôt que bourreau.
Le « problème » du film – et il est de taille, car il le rend souvent ridicule, parfois insupportable – ne réside ni dans le scénario, ni même dans la mise en scène : la réinterprétation de l’histoire autour de la question de l’exclusion et de la reconversion cathartique pouvait intéresser. Tonino De Bernardi réalise même de belles choses dans la mise en scène, plus précisément dans la captation de l’espace de la banlieue – non lieu, filmée dans des cadres gris, étranglés, où les sons font palpiter la ville autour. Non, ici, c’est l’interprétation qui pèche. Pas seulement maladroite, mais totalement à côté de la plaque, emphatique, gonflée… pour tout dire, fausse. Créon (Lou Castel), devenu ici une sorte d’implacable « maire anti-immigration » hurlant à répétition à la face d’Isabelle Huppert « C’est-l’histoire-de-toute-notre-co-lo-ni-sa-tion !!! » (oui, avec trois points d’exclamation), la Huppert qui a tantôt l’air d’une petite fille geigneuse, minaudant, tantôt d’une tragédienne de pacotille poussant des « haaa ! » totalement déclamatoires (la caricature atteint son paroxysme dans les scènes d’alitement). Même le fils tant aimé est une tête à claque sans nom. Que s’est-il passé ? Huppert n’a-t-elle pas été convaincue par son personnage ? Malade ? En petite forme ? Dans ce film, on aura beau essayer d’interpréter le ton et le style du jeu dans tous les sens, tenter d’y voir un choix du réalisateur, force est de constater : elle joue faux et l’inutilité de sa moue perpétuelle ne parvient qu’à agacer.
Ce mauvais jeu provoque du coup une absence totale d’empathie avec le personnage, dont la première conséquence est un ennui et un agacement profonds. Plus, il y a quelque chose de profondément dérangeant, presque obscène, dans « l’utilisation » d’Isabelle Huppert : avec son perfecto, son jean et ses bottes impeccables qu’on devine plutôt issus d’une boutique du Faubourg Saint-Honoré que de chez Tati, il devient proprement insupportable de la voir assise par terre, dans la rue, brandissant une pancarte de carton, sur laquelle, en lieu et place des « j’ai faim », ou autre « aidez-moi » figure en gros et en gras « je veux simplement vivre » ! Si l’intention du réalisateur est d’évoquer le miracle en l’humain, on ne peut que sentir un vague sentiment de ridicule dans les cartons qui la figure, tant son Irène / Médée n’est pas crédible : « Peut-il y avoir un miracle ? », « Le miracle est-il possible sans intervention divine ? » Dans ce film, le miracle aurait peut-être été de travailler avec une autre comédienne. Tonino De Bernardi aurait sans doute eu alors davantage de latitude pour déployer son onirisme.