Le premier film de (et avec) Aymeric Mesa-Juan s’inspire du mythe de Jason et Médée pour en donner sa propre vision transposée à notre époque. Mado, délaissée par Julien, assassinera leur enfant. Après et avant l’acte inévitable, le réalisateur révèle l’errance puis la perte progressive des personnages. Malheureusement, la qualité d’image plombe un scénario déjà hésitant entre reproduction fidèle du mythe et libre adaptation.
Mado et Julien forment un couple à bout de souffle seulement uni par leur enfant. Le mari, devenu père, a reporté son regard sur le fils qui souffre d’une maladie orpheline. Il a une maîtresse, la fille de son richissime patron, obscure comédienne bien moins effacée que Mado. Le couple bancal tient bon jusqu’à l’aggravation de la maladie du petit, il faudra l’opérer aux États-Unis et beaucoup d’argent, de quoi faire exploser la cellule familiale déjà en piteux état.
La possibilité de faire des films avec peu de moyens se développe dans les consciences. C’est une chance. Le revers de la médaille est entre autre d’obtenir un rendu d’image souvent très moyen, voir détestable. L’image des Liens rebute dès le premier plan par sa qualité médiocre et diminue l’emprise du film sur les spectateurs. Dans certains cas, les caméras numériques « bon marché » peuvent rendre des trésors. Dans les mains d’Alain Cavalier (Le Filmeur) ou d’Agnès Varda (Les Glaneurs et la glaneuse), l’image participe à une impression d’intimité totalement cohérente avec l’ensemble du film. La vidéo numérique « fait vrai », elle rappelle généralement la texture des films ramenés de vacances par soi-même ou des amis. Les films documentaires s’accommodent mieux de ce type d’image que les fictions. Non pas qu’ils méritent moins de qualité mais dans des conditions de réalisations délicates (qu’il s’agisse d’une situation d’urgence comme par exemple une guerre, où à l’intérieur de lieux dans lesquels la caméra doit être dissimulée) l’usage d’un petit appareil numérique reste souvent le seul moyen de faire du cinéma. D’où, aussi, l’impression de réalité. C’est notamment sur cela que jouait Le Projet Blair Witch pour provoquer la peur. Les fictions réalisées avec ces caméras, si elles ne relient pas l’image au scénario et/ou à la mise en scène, prennent le risque de perdre plus ou moins définitivement les spectateurs. Une solution consiste à développer une ambiguïté entre fiction et réalité. Ce principe se retrouve dans plusieurs films dont Oxhide, de Liu Jia Yin, une fiction dans laquelle la réalisatrice se met en scène chez elle, avec ses parents comme acteurs. Plus récemment, Pardonnez-moi, réalisé et interprété par Maïwenn, raconte l’histoire d’une femme qui décide de faire un film sur sa famille. Dans ces deux exemples, les doutes quant à la nature documentaire ou fictive ont tendance à renforcer l’histoire. Dans le cas d’un film dont le réalisateur – comme Aymeric Mesa-Juan pour Les Liens – ne cherche pas ce type de rapport avec le spectateur, il faut un scénario et/ou une mise en scène d’une très grande qualité pour compenser l’image, pour intéresser vraiment. Ce n’est malheureusement pas le cas des Liens.
Mesa-Juan a repris pour son premier film le mythe et les initiales de Jason et Médée. Comme chez Sénèque, Mado (Anne O’Dolan, intrigante) est délaissée par Julien qui n’a d’intérêt que pour sa maîtresse et leur fils. Elle étouffera l’enfant avec la froideur de son personnage meurtri. Commencé par l’infanticide, le film se refermera peu après l’annonce de la même scène. Construire ainsi l’histoire empêche tout suspense, toute surprise. Cela renforce l’austérité une fois passé le choc du meurtre, mais on peu aussi y voir un parallèle à Médée, qui proférait au début de la pièce de Sénèque « Je deviendrai Médée », comme pour rappeler l’inéluctabilité du destin.
L’enchaînement des plans fonctionne, comme les dialogues qui accompagnent l’avancée du récit. Mais il manque une inventivité capable de relever l’ensemble, d’appuyer l’errance puis la perte des personnages. Car l’intérêt des Liens repose sur l’emballement des sentiments de Mado. Au lieu de faire un film sur le manque d’amour, le réalisateur pointe les conséquences d’un trop plein d’amour : Julien étouffe sous la passion de Mado. S’il tient à elle, c’est à travers son fils, quand sa femme ne paraît aimer leur enfant que parce qu’il est une partie de Julien. Par son opacité – elle parle peu, ne vit qu’en présence de son homme – Mado est plus intéressante que tous les autres personnages. Sa souffrance n’apparaît pas à l’écran comme Julien qui pleure constamment, déchiré entre sa maîtresse, son fils malade et sa femme. La belle séquence de la fin où la caméra suit le visage fermé de Mado à travers la ville, achève de rendre insondable cette femme dont les sentiments sans mesure se déchaînent et la poussent vers la folie. Un gouffre qui intrigue plus que tout le reste du film.