Suite et fin de la trilogie suédoise tirée des romans à succès de Stieg Larsson. L’heure du bilan donc. Peu de cinéma, c’est clair, mais l’avènement d’une héroïne moderne, Lisbeth Salander, et la grâce de son interprète, Noomi Rapace.
Et voilà c’est fini. Enfin pour l’instant puisque David Fincher souhaite à son tour adapter les trois romans de Stieg Larsson, sans doute en un seul et même film. Et puis l’on parle également d’un quatrième tome largement entamé par l’auteur suédois avant sa mort et qui pourrait lui aussi à terme être porté à l’écran. Joli coup en tout cas pour le cinéma nordique qui, espérons-le, utilisera l’argent récolté pour soutenir de nouveaux Winding Refn.
Au niveau formel, ces trois longs métrages ne resteront pas dans les annales. La réalisation est d’ordre télévisuel. Pas de mise en scène, uniquement de l’illustration. Peu de moments qui impriment la rétine. À sauver néanmoins une gestion intéressante des scènes d’action, sans grands effets pyrotechniques faute de moyens, mais du coup avec une sécheresse efficace, tout en adrénaline, avec une violence frontale qui électrisent ces séquences, notamment celles mettant en scène le géant blond insensible à la douleur.
Mais ces rares saillies ne sont que des exceptions à un filmage bien terne. La magie étrange des décors nordiques est peu utilisée, n’est pas Bergman qui veut. La lumière granuleuse sied au côté polar de l’ensemble, mais s’avère souvent juste laide. Le casting joue sa partition honnêtement sans grandes envolées, à l’image d’un Mikael Blomkvist, censé être le George Clooney du nord, mais très loin du charme de l’amateur de café poivre et sel.
Pour le reste, la narration s’appuie sur le sens du récit de Stieg Larsson, qui sait tenir en éveil par le rebondissement permanent. On suit tout en se foutant pas mal l’enquête journalistique partant d’un réseau de prostitution pour arriver à une société secrète jouant avec la raison d’État. Tout cela n’est que décor, vite expédié, en quelques dialogues lourdauds, pour traiter du sujet principal de la trilogie, le personnage de Lisbeth Salander, symbole de la violence faite aux femmes.
Dans sa prime jeunesse, Stieg Larsson avait assisté au viol d’une jeune fille par une bande, mais n’était pas intervenu pour lui venir en aide. Recroisant sa victime dans la rue, il lui demanda d’excuser sa lâcheté. Elle lui répondit qu’elle ne lui pardonnerait jamais. Bouleversé par cet épisode, il en conçut un féminisme radical qui irrigue la saga Millenium.
Dans les deux premiers films, on a ainsi vu Lisbeth Salander se faire agresser dans un métro, violée par son tuteur légal, quasi assassinée par un serial-killer, mais toujours droite dans ses bottes cloutées, déterminée à punir ces hommes qui n’aiment pas les femmes, elle qui a vu sa mère mourir sous les coups de son père.
À la fin de ce troisième opus, on la voit revenir à la vie, et après moult aventures se libérer de son passé, de la tutelle imposée depuis son adolescence, des cauchemars qui la renvoient à l’hôpital psychiatrique où elle a été internée. Blanchie par la justice à la suite d’un procès à la Jeanne d’Arc qui reconnaît son statut de victime. À l’abri de ses persécuteurs multiples et variés, paternel et demi-frère compris, envoyés tout droit en cellule, voire au cimetière.
Au bout du compte, et c’est là la force de cette trilogie, on laisse à regret ce personnage hors norme, avec sa dégaine de pétroleuse, étendard du girl-power en jeans serrés, blouson noir, tatouage géant dans le dos, coupe de cheveux déstructurée et piercings à gogo.
Elle laisse un vide, parce qu’elle nous parle, comble de modernité qu’elle est, hackeuse dans une société qui craint de voir la technique grignoter la moindre parcelle de vie privée, féministe face à un patriarcat fragilisé qui se maintient par la violence, lesbienne amoureuse d’un homme dans un monde où le genre n’est heureusement plus une frontière au désir.
Elle touche par sa schizophrénie, celle des grandes métropoles, à la solitude lancinante qui y règne, aux ombres urbaines ne croyant plus en rien ni à personne qui se vendent et s’achètent au grand marché de l’emploi et du sexe, aux corps si prompts à jouir mais aux âmes si rétives à se laisser aimer.
Elle est notre miroir, un de ces personnages de fiction qui marque une époque, dont dans quelques années les traits romanesques dessineront en creux le portrait de notre temps. Un phénomène d’autant plus notable dans un septième art peinant ces derniers mois à faire émerger des archétypes forts comme a pu l’être un Tony Montana.
Noomi Rapace – quel nom ! – l’incarne magnifiquement. Voir jouer cette actrice est un plaisir de chaque instant. Elle impose une silhouette, fragile et forte, loin des canons de beauté habituels avec ses tout petits seins, mais avec un vrai sex-appeal, et de belles scènes de sexe à la clef, sensuelles et jamais vulgaires. Confrontée à autrui, elle a ce retrait physique qu’ont les blessés de la vie, le dos appuyé au dossier de la chaise, toujours à distance respectable. Elle a ce regard flou de la survivante, concentré de rage rentrée, enfant perdue derrière le masque, comme toujours sous la menace.
Alors que le générique de fin approche, que l’histoire touche à sa fin, il y a cet avant-dernier plan où Lisbeth Salander / Noomi Rapace referme la porte sur Michael Nyqvist / Mikael Blomkvist, avec qui elle a couché, qui l’a sauvé de la mort, qui a mis sa vie en danger pour elle, faisant tout pour la rendre de nouveau libre. Elle baisse le visage vers le sol, la main sur la poignée, hésitant à rappeler cet homme qu’elle aime, peut-être même sans vraiment le savoir. Beau moment de cinéma. Grand moment de cinéma. Incroyable comédienne que David Fincher aura bien du mal à remplacer.