Après les logorrhées geek de Mark Zuckerberg, c’est à l’univers de l’écrivain Stieg Larsson que David Fincher s’attaque, en adaptant le premier tome de la trilogie Millenium. S’étirant sur plus de deux heures et demie, Fincher livre un thriller assommant et laborieux, un comble pour, comme le clament fièrement les affiches du film, « une trilogie au succès international ».
Précédé d’une réputation sulfureuse amorcée par un judicieux plan marketing, présenté comme la rencontre entre le « nouveau » David Fincher (entendez par là « cinéaste arrivé à maturité ») et un univers s’apparentant à la fougue glauque de ses premiers films, Millenium avait tout du succès commercial international annoncé. Seulement, le « feel bad movie » de ce début d’année, charriant meurtres, pulsions de mort et obsessions sexuelles en tout genre véhicule un sage condensé d’un savoir-faire pudiquement hollywoodien. Et pourtant, les tendances ou comportements sado-masochistes, de Seven à Fight Club ou encore The Game, sont une composante régulière du cinéma de Fincher. Il en fait d’ailleurs l’élément essentiel dans la compréhension du personnage de Lisbeth (Rooney Mara) et de son rapport aux autres, ce qui laissait attendre de sa part un développement plus conséquent. Mais voilà, il n’en est rien (et ce n’est pas l’affreux générique de début, mélange improbable entre une version sophistiquée d’un générique de James Bond et une séance de « bondage » qui y changera quelque chose), tant les scènes dites « sulfureuses » sont traitées avec une méticulosité pudibonde et un sérieux barbant. Fincher n’a pas le courage d’injecter la dose de folie adéquate, d’assumer l’aspect grand-guignolesque des vicissitudes développées par le récit, qui tombent alors comme des cheveux dans la soupe. Derrière l’aspect subversif érigé en concept marketing ne se cache finalement qu’un voile glacé et complaisant dans la représentation de la violence.
Et tout le film d’emboîter le pas de cette somnolence ronronnante, à force de recherche d’une efficacité qui ferait couler le récit comme une lettre à la poste. Fincher y perd le semblant d’âme qui constituait l’intérêt d’un Zodiac ou encore de The Social Network. La vitesse d’exécution de The Social Network produisait un élan grisant, ici elle s’assimile plus à une précipitation qui délite le film de l’intérieur pour le réduire en lambeaux de séquences, empêchant toute installation d’une quelconque atmosphère. La tension créée par l’absence d’un coupable convaincant quarante ans après les faits est neutralisée par un jeu de piste cousu de fil blanc qui constitue l’enquête, mélange de références bibliques téléphonées et de recherches fastidieuses sur Photoshop. Fincher disperse les enjeux de son intrigue au gré d’incessants plans de déplacements motorisés, de séquences face à l’ordinateur ou encore de scènes d’interrogatoire rapidement zappées. Cette dispersion est mise en exergue par un montage incontrôlable, qui scande de manière presque épileptique de perpétuels changements d’échelle de plans.
On pourra toujours arguer que Fincher s’intéresse plus à la rencontre de deux personnages principaux liés par le destin, il faudra tout de même subir une heure et quart d’un montage alterné laborieux avant qu’ils ne se croisent, le temps de mettre en place une ribambelle de seconds couteaux dont on comprend très vite – travers hollywoodien ô combien récurrent – lesquels seront importants suivant qu’ils sont incarnés par une tête familière ou non (par exemple, Christopher Plummer, habitué aux rôles de « passeur de plats », ou bien Stellan Skarsgård qui, coutumier des rôles de salaud, est devenu une sorte de spécialiste du genre). Et pourtant l’on sent poindre autour du personnage de Lisbeth un semblant de thématique, que les aficionados de la politique des auteurs ne manqueront pas de pointer dans une ultime tentative de chercher autre chose qu’une simple capacité à « faire le boulot » chez Fincher (qui, lorsqu’elle est bien employée, est une qualité tout à fait appréciable). Lisbeth est, au même titre que le « paradoxe Zuckerberg » (un individu asocial créant le plus grand réseau de connexion entre les êtres), que le personnage d’Edward Norton dans Fight Club ou celui de Jake Gyllenhaal dans Zodiac, une marginale vivant en dehors des codes de bienséance de la société. Mais elle incarne ici une contradiction molle et rebattue : la volonté, malgré une marginalité revendiquée, de trouver un moyen de créer du lien social avec d’autres, exutoire qu’elle trouvera dans une relation sexuée avec Mikael Blomkvist (Daniel Craig). La faiblesse naïve, ainsi que la mise en œuvre plate de cette proposition finit d’achever tout espoir de voir advenir un brin de discernement dans cette bouillasse informe qu’est Millenium.