Depuis qu’il a été promu réalisateur de la franchise Mission impossible avec Rogue Nation en 2015, Christopher McQuarrie a conforté Tom Cruise dans un rôle de plus en plus difficile à tenir : celui du dernier héros d’action du cinéma américain, mais aussi peut-être de « l’archétype du mâle hollywoodien », comme le soulignait la critique de Libération à la sortie du film. Il s’agirait d’ailleurs moins d’un rôle que d’une sorte de devoir, ou de mission, pour reprendre le mot-clef de la saga. Si l’accident de cascade survenu en 2017 sur le tournage de Fallout témoignait de l’usure du corps de Cruise (ou tout au moins de ses limites), le film n’en faisait aucun cas, continuant de dérouler le tapis rouge à l’acteur-producteur dans ce qui ressemblait à un baroud d’honneur sans joie, entièrement dédié à ses performances physiques. Aussi inepte dans son scénario que dépourvu de sens artistique, ce sixième épisode poussif indiquait surtout à quelle impasse était vouée la « mission » cruisienne : courir et chevaucher des motos aux quatre coins du monde ne suffisait plus à éblouir ; la succession des morceaux de bravoure sur fond de cartes postales de grandes capitales mondialisées n’engendrait qu’un film d’action éteint, à la patte un peu vintage, plus proche dans sa conception globale des derniers James Bond (le portrait d’un héros vieillissant et vaguement mélancolique) que des chorégraphies réglées de John Wick.
Sans doute ragaillardi par le succès mondial de Maverick, Cruise semble avoir repris des couleurs. L’élévation du niveau de la franchise est perceptible dès la séquence d’action dans l’aéroport d’Abou Dabi, où les filatures se multiplient de façon habile, entremêlant les fils d’un scénario pourtant toujours aussi sommaire (la quête d’une demi-clef permettant le contrôle absolu de l’humanité !), mais faisant de cet entrelacs une quasi figure de style. À son meilleur, la mise en scène de McQuarrie, étonnamment inspirée au regard des deux épisodes antérieurs, accouche d’une comédie d’espionnage dont le charme repose en grande partie sur le personnage de Grace et sur l’actrice qui l’incarne : Hayley Atwell, qui allie décontraction totale et sens impeccable du rythme. Sa longue marche dans les terminaux de l’aéroport, escortée par Hunt et scrutée à travers plusieurs caméras de contrôle, sert ainsi de fil conducteur à l’ensemble du film : une histoire d’amour cachée sous les traits de l’alliance professionnelle (Grace fait équipe avec Hunt), dans la lignée magnifique de La Main au collet ou de La Mort aux trousses. Il suffit de voir le couple se former, dès la séquence de l’aéroport, pour comprendre que le plaisir de l’action, associé à l’alchimie évidente entre les deux acteurs, va primer dans ce septième épisode. Si McQuarrie est parfois rattrapé par sa lourdeur explicative (il peine beaucoup sur les longues séquences dialoguées), le sens de l’action dont il témoigne ici ravive la joie qu’est en mesure de produire un film à grand spectacle.
Train d’enfer
Deux grandes séquences d’action se détachent. La première, située à Rome, consiste en une course-poursuite d’une bonne vingtaine de minutes. En comprimant Hunt et Grace dans une petite Fiat jaune rétro digne d’un film de Jacques Tati, puis en l’opposant à une voiture-tank au moteur surpuissant, McQuarrie joue sur des différences d’échelle, de vitesse et de son. La scène, qui ressemble presque à une promenade romantique contrariée par divers obstacles, est soutenue par une idée simple : le lien entre Hunt et Grace, compliqué par une paire de menottes, ne facilite pas la conduite ; les positions de conducteur et de passager ne cessent de s’inverser au fil des chocs et des rebondissements, comme si le film avait pris acte du fait que Hunt n’est plus ici le seul pilote. Souvent pris de vitesse par Grace ou surpris par sa finesse et sa capacité à se sortir de situations inextricables, il trouve en elle une acolyte de choc – et la franchise le grand personnage féminin qui lui a toujours manqué.
La seconde grande séquence d’action est celle de l’accident de train clôturant le film. Construite sur une longue série de destructions (les wagons d’un train de luxe volent en éclats les uns après les autres), elle se démarque autant par son suspense que par son usage du décor : en remontant les voitures du train les unes après les autres, Hunt et Grace traversent un chaos d’assiettes, de couverts, de tables, de fauteuils qui rappelle beaucoup la partie de Titanic où Jack remonte avec Rose les compartiments inondés du paquebot. La séquence, pensée littéralement comme une attraction foraine (chaque wagon accueille de nouvelles secousses et de nouveaux obstacles), s’apparente elle-même à un train suspendu au bord du vide et tient sur le fil de sa propre virtuosité technique. Alors que la saga, et avec elle la carrière de Tom Cruise, semblaient sur le déclin, Dead Reckoning confirme l’embellie de Maverick : jamais à court d’idées, le film renoue avec ce que la forme du blockbuster estival peut avoir de plus exaltant, de plus généreux et de plus beau. On a presque envie de se lever pour applaudir.