Ethan Hunt s’est retiré de la vie d’espion. Il est fiancé et aspire à une vie paisible. Mais quand une de ses anciennes élèves se fait repérer et capturer par des trafiquants d’armes, il n’hésite pas une seconde à aller la sauver et renouer ainsi avec son ancienne vie, c’est-à-dire traîtres et retournements de situation à chaque virage… Si on reconnaît là la patte de J.J. Abrams, créateur des séries Alias et Lost, on peut regretter que ce dernier ne se soit pas contenté du poste de scénariste, tant sa mise en scène n’arrive jamais à insuffler au film le dynamisme et l’intelligence qu’il nécessite.
En 1996 sort Mission: Impossible de Brian De Palma, qui initie la mode de l’adaptation cinématographique de séries télé cultes et marque les débuts de Tom Cruise comme producteur. Le film, virtuose et paranoïaque, porte l’indélébile marque de son réalisateur. Mais la mésentente entre le producteur-vedette et le metteur en scène fut conséquente et mit un terme à leur collaboration. En 2000 sort Mission: Impossible II de John Woo. Le film, extrêmement bancal, souffre de sa bi-paternité: celle d’un acteur star qui se positionne au centre du film et d’un réalisateur à la sensibilité romantique exacerbée. Car le cinéma de Woo repose avant tout sur les épaules de comédiens charismatiques qui vampirisent l’écran là où le jeu de Cruise cherche un appui dans le sujet et la nature du film.
En 2006 arrive le troisième opus de la saga, à une époque où les auteurs n’ont définitivement plus la côte à Hollywood et où le cinéma se rapproche de plus en plus du média télévisuel. C’est de manière assez logique que Tom Cruise confie la réalisation à J.J. Abrams, créateur de séries très remarquées comme Alias et Lost, dont les intrigues noueuses, mettant en scènes des personnages complexes, s’accordent parfaitement avec l’univers tout en faux-semblants de Mission: Impossible. Abrams succède à deux réalisateurs essentiellement connus pour leurs prouesses visuelles, alors qu’il s’est principalement illustré dans un domaine scénaristique. Le cinéma hollywoodien, après avoir pris à la télévision ses sujets, lui emprunte maintenant ses artisans.
Ce transfert n’est pas sans conséquence et le film d’Abrams illustre parfaitement la différence de conception cinématographique qui sépare un cinéaste comme De Palma et le divertissement hollywoodien d’aujourd’hui. Si le premier Mission: Impossible se servait de la richesse de sa mise en scène pour dépasser son intrigue (bien confuse) afin d’élaborer une thématique chère à son auteur, le troisième fonctionne sur un mode d’adhésion immédiate du spectateur par le biais de cette même intrigue. Les scènes d’introduction des deux films sont en l’occurrence assez significatives. Chez De Palma, un interrogatoire est montré au travers d’un petit moniteur. Cet interrogatoire n’est en fait qu’une mascarade que dévoile un mouvement de caméra qui filme l’envers du décor. Ce mouvement qui passe d’un champ (le moniteur) à son hors-champ questionne le mode de représentation cinématographique. Dans le film d’Abrams, la première scène montre aussi une mascarade, mais qui ne nous sera révélé que plus tard. Le but ici n’est pas de servir une thématique mais d’aguicher le spectateur en le trompant sur les tenants et les aboutissants du récit. La différence se situe dans le cadre du moniteur. De Palma le filme et s’en extirpe. Abrams, lui, s’y confine et n’en sortira jamais.
Car là où De Palma s’interroge sur le cinéma et élabore une vraie réflexion sur l’image, Abrams ne fait qu’appliquer des «recettes» dramatiques qui accrochent le spectateur et articulent le récit d’un point A vers un point B. Il habille son film d’un visuel tout aussi systématisé que son scénario: caméra à l’épaule, montage nerveux, surabondance de plans, cascades poussivement spectaculaires, etc… Et en définitive ne développe pas grand-chose si ce n’est l’exploration des limites d’un modèle de représentation télévisuel qui enterre le cinéma plus qu’il ne le ravive.