Ancienne agence de création web diversifiée dans le développement et l’édition multimédia (jeux vidéo, bandes dessinées, séries d’animation, musique), la société Ankama tente assez logiquement de percer sur le grand écran. Après les résultats mitigés d’un long-métrage dans l’univers de leur jeu de rôle en ligne Dofus, voici qu’elle collabore avec le studio d’animation japonais Studio 4°C (Amer béton) pour adapter la série de BD Mutafukaz. L’auteur de celle-ci, Guillaume Renard dit « Run », assure la coréalisation du film avec l’animateur nippon Shōjirō Nishimi.
Que raconte Mutafukaz, le film ? À vrai dire, cela importe moins que ce qu’il déploie — un univers, une ambiance, mais surtout l’apparence d’une certaine jouissance à partager. L’univers de Mutafukaz ressemble à une disposition généreuse d’éléments cool agitant un agglomérat de références culturelles flatteuses. Les héros : des losers sympathiques aux allures de mutants, soit une silhouette noire aux grands yeux blancs perçants qui se découvre des pouvoirs spéciaux, son meilleur ami affublé d’une tête de mort enflammée, et une chauve-souris sans ailes infailliblement pleutre comme side-kick comique. Les personnages secondaires : des « Men in Black » menaçants, des extraterrestres infiltrés dans la société, des lutteurs masqués mexicains érigés en gardiens mystiques, un chef de gang citant Shakespeare, une armée de cafards affectueux… Le décor : une version hypertrophiée de Los Angeles écrasée par la chaleur, les enseignes en anglais et en espagnol, l’insécurité endémique. Soit un cadre et un contenu qui visent avant tout une connivence de geek avec le public, de l’humour sur la lose à la multiplication des renvois culturels pêle-mêle : science-fiction, comics, hip-hop West Coast, aventures du luchador Santo, voire quelques clins d’œil légers à John Carpenter (un camion à glaces rappelle Assaut, des visions extralucides paranoïaques Invasion Los Angeles).
Quand le délire se délite
Tout cela promet un divertissement forain où les collisions d’allusions reconnaissables feraient s’envoler le récit vers une échappée délirante. Cependant, quelque chose coince, ne suit pas dans le foisonnement annoncé. C’est une chose de produire en continu les éléments constitutifs d’une foire au fun débridé, mais une autre de les rendre opérants, de faire de cette foire un moteur de cinéma, en lui imprimant le rythme d’un récit qui lui laisse exprimer sa folie. En l’occurrence, les lignes simplistes de l’intrigue et des statuts des personnages d’une part, le débordement de la fantasy multi-culturelle d’autre part, semblent se gêner mutuellement, agir comme des ornières, comme si l’impératif de résumer l’univers Mutafukaz en un scénario (quitte à expédier fâcheusement certains passages) sapait la jouissance de son imaginaire et inversement. Mais ce problème de rythme tient aussi à un aspect de l’adaptation que les auteurs semblent avoir pensé trop négligemment : le montage. Celui du film s’avère d’un effet désastreux, l’image animée échouant à travers lui à prolonger dans son flux les envolées hallucinatoires exprimées dans les dessins. On regrette, en particulier, ces nombreuses scènes (d’action ou autres) où le mouvement de l’animation est comme cassé par une insertion malvenue : un ralenti, un plan sur un élément de décor caractéristique, un texte en surimpression — soit autant d’effets démonstratifs de l’univers Mutafukaz, censés s’ajouter au délire ambiant, mais qui, en pratique, empêchent celui des actions en cours de s’accomplir en leur imposant maladroitement une logique publicitaire. Comme si la jouissance à laquelle cet univers invite, en plus d’être entravé par les limites du récit, se trouvait gêné par un autre impératif encore moins propice au cinéma, celui de l’auto-promotion.