D’un patronyme noir de monde, Eva veut se débarrasser ; d’un Eugène, sans filiation mais au magistère instinctif, et d’une Irina, sa mère photographe, égérie du porno chic des années 1970. Le cas du premier est vite réglé, il n’existe que dans la tête du passant mal informé. Pour la deuxième, c’est plus compliqué. Pourquoi ne pas alors s’aider du cinéma comme outil psychanalytique ? Les problèmes commencent pour le spectateur.
Violetta est une petite fille élevée par sa grand-mère dévote jusqu’au bout des ongles. Les chapelets et les harangues de Ceauşescu par transistor sont le lot d’un quotidien parfois déchiré par Hannah, la mère. Jetant son corps et sa démence dans le petit appartement flapi, elle apparaît et disparaît en laissant derrière elle une vieille à genoux et une gamine à l’œil triste. Quand elle décide un jour de s’amarrer à nouveau à sa fille, elle le fait comme la maquerelle d’un port byzantin : joyeusement et maladivement. Habillée comme une poupée, Violetta minaude dans la cour de récré, récoltant au passage quolibets et regards torves. Devant l’objectif de sa mère, elle pose en frou-frou, au milieu de crânes fendus. Elle peut désormais pénétrer dans l’alcôve de sa mère, sous les voûtes, protégé de la lumière extérieure. C’est là qu’elle se dénudera sous l’insistance de sa mère. On connaît le scandale, c’est celui d’Eva prise en photo par Irina dans des postures érotiques et exposée dans les galeries du monde entier. « Baby Porn ».
Eva Ionesco parle donc d’elle et de son enfance escamotée. Elle précise avoir édulcoré pour moins choquer et se concentrer davantage sur la narration. Le sujet a du potentiel, même si louvoyant quelque peu sur la vague – ostensiblement aperçue à Cannes cette année – de l’enfance maltraitée. Mais après tout, pourquoi pas ? On ne peut attaquer le film et sa créatrice sur le thème de la sincérité, évidente. On peut par contre s’interroger sur la volonté autarcique de ne parler que de soi-même. Les références au monde extérieur ne sont qu’apparats de circonstance, rien ne compte plus que la bonne bouille de Violetta/Eva. Recroquevillé sur son sujet, calfeutré dans son quant-à-soi, le film toussote comme un asthmatique en hiver. On tient là, aussi, une des qualités du film : l’adéquation entre un univers formel clos et oppressant et un autisme assez sidérant. Quelle est la place du spectateur dans cette célébration du Moi dévasté ? Eva Ionesco a‑t-elle quelque chose à partager avec son public ? Le cinéma nécessite trop de moyens pour ne sa cantonner qu’à son égotisme.
L’histoire est calée sur le système des allers et des retours, presque des claquements de portes boulevardiens. La mère va et vient, vitupère et papillonne. La fille oscille entre la grand-mère courage et l’inconséquence maternelle. Ce systématisme paresseux rassure ou agace dans le sens où il plante ses personnages : on les comprend, on les cerne mais on les voit aussi enraciné dans un rôle fonctionnel, et donc artificiel. Si la mère Hannah attrape au vent un semblant d’intérêt, c’est dans son absence de déterminisme. Elle est pathologiquement atteinte mais le récit ne cherche pas à le justifier, à débusquer quelque traumatisme antécédent. Jusqu’à ce qu’il le fasse, à la toute fin. Patatras.
Un mot sur Isabelle Huppert : irritante. On a aussi connu Bertrand Burgalat musicalement plus inspiré. Denis Lavant fait plaisir dans un petit rôle pas bien léché mais qu’il arrive à habiter. La petite Anamaria Vartolomei est, par contre, tellement gracieuse qu’elle arrive à faire oublier ses accoutrements vulgaires pour que l’on ne retienne que la clarté de ses yeux et que l’on renvoie Isabelle Huppert à ses chères études. Au moins, le film a‑t-il su capter – par intermittence et grâce au jeu fin de la jeune actrice – l’ingénuité de l’enfance derrière les oripeaux glam. Ce n’est pas rien, mais c’est à peu près tout.