La question de l’exil et l’identité kurde innervent la filmographie de Hiner Saleem, né au Kurdistan irakien, qu’il a quitté à l’âge de dix-sept ans pour l’Europe. Ces thèmes pointent en creux (Les Toits de Paris, 2007) ou le plus souvent frontalement, comme dans Kilomètre zéro (2005) ou Vodka Lemon (2003). My Sweet Pepper Land se déroule dans un incertain confins montagneux turco-irano-irakien, qu’il est tentant de caractériser comme un « Far East ».
Les codes du western structurent le film, un enrobage qui saute aux yeux dès la scène d’ouverture : une cruelle scène de pendaison gagnée par le grotesque à force d’effets de dilatation – dont des gros plans à la Sergio Leone sur les trognes locales. En ville, la loi et l’ordre reprennent leurs droits, tant bien que mal. C’est justement ce qui amène Baran, héros du combat indépendantiste kurde, à tromper l’ennui en se faisant muter dans un coin perdu, où tout est à faire en la matière. On troque l’énorme véhicule tout-terrain pour le cheval, plus adapté afin de parcourir les majestueux paysages ; l’adjoint (beau second rôle potentiel, malheureusement sous-exploité) met au parfum des mœurs locales pour le moins particulières ; on prend possession des lieux en découvrant la galerie de portraits photographiques des anciens shérifs. Le western toujours, littéralement.
Allégorie parodique
On comprend vite qu’il y en a un qu’il ne faut pas chatouiller, c’est Aziz Aga, l’autocrate local, mafieux porté sur le trafic et la kalachnikov, bardé de sbires autant hirsutes que butés, et aussi moustachus que tous les mecs du coin. L’entente cordiale sous couvert d’yeux fermés mâtinés de corruption ne prend pas et c’est donc bientôt la veillée d’armes. De Sergio Leone, on passe donc à Rio Bravo, en prenant les paris pour déterminer quand le symbole de l’ordre – le commissariat-prison – finira assiégé. Sans doute conscient de la minceur de l’argument de cet « eastern », My Sweet Pepper Land s’assortit d’une bluette puisqu’une belle nénette, elle aussi venue d’ailleurs, est l’institutrice du patelin. Éduquée, pas soumise et pas mariée, autant dire que la donzelle dépareille fortement dans ce recoin marqué par la tradition. Le progrès (par l’instruction) et la loi (par la rectitude morale) vont opérer le rapprochement attendu.
Hiner Saleem prend le parti du tragi-comique pour composer une allégorie parodique de la difficile (re)construction d’un État de droit dans une zone secouée par l’histoire, pour évoquer un peuple sans État par le biais des codes du genre cinématographique de la conquête de la frontière et de la lutte entre le droit et la sauvagerie. Idée séduisante, mais une idée ne fait pas un film, elle doit précisément se déployer en un film. Ce que manque My Sweet Pepper Land, peut-être trop confiant dans sa connivence auto-proclamée entre la situation présente et le western. La séduction initiale est déçue par l’enfilade de situations convenues sagement ancrées au rail scénaristique. Si l’ennui reste poli, il n’en est pas moins toujours de plus en plus ferme.