C’est l’histoire d’une rencontre : celle d’une réalisatrice débutante, Valérie Massadian, et d’une toute petite chose de 4 ans et des poussières, Kelyna Lecomte… Nana, long-métrage de poche (68 minutes à peine), trouve sa source dans le cinéma documentaire mais brode une étrange fiction autour d’une petite fille dont le naturel désarmant et l’imagination débordante constituent un rempart solide face au monde des adultes. Un premier film rude et rugueux, pas très aimable, mais assez impressionnant.
Devant ce premier long-métrage de Valérie Massadian viennent à l’esprit de nombreuses et (relativement) encombrantes références : Depardon, Doillon, Truffaut… Ponette des champs dont l’effronterie naturelle aurait sans doute fasciné le père d’Antoine Doinel, la petite Nana est la création propre de son interprète, Kelyna Lecomte, que la réalisatrice a filmée des heures durant, laissant sa caméra tourner sans se contraindre à la rigueur d’un scénario qui, pourtant, lui avait permis d’obtenir l’avance sur recette… La formidable liberté offerte par le numérique a eu raison des limites imposées par l’écrit. De toute évidence, Valérie Massadian n’avait qu’une envie : enregistrer le miracle de l’innocence et d’une certaine inconscience de soi, saisir au vol le naturel absolu et la créativité pure dans son expression la plus radicale. L’exercice, souvent maladroit dans sa forme finale, n’en est pas moins fascinant, tant la cinéaste et son sujet semblent ne faire plus qu’un, la première trouvant dans le second le reflet d’une enfance dont on ne sait pas bien quoi, de la nostalgie ou du dégoût, l’emportent aujourd’hui dans ses souvenirs.
Enfance
Si les jeux de l’enfant et les délices de l’improvisation ont permis, au montage, de construire un semblant de fiction, la thématique dominante s’impose d’emblée, telle une évidence. La mort est partout, s’immisçant dans tous les recoins du décor (une ferme quelque part dans le Perche), dans un quotidien si morne et difficile que chaque geste des adultes (la mère, en particulier) semble esquissé pour tendre vers l’instinct de survie qui permet de rester debout. Dès le premier plan (la saignée d’un cochon, à laquelle assiste la petite fille), le ton est donné : rien n’est et ne sera facile dans ce monde brut où la terre reste sous les ongles, où la frontière entre le dedans et le dehors est si mince que l’on ne sait plus bien à quoi servent les portes, où même les rares instants de détente (un jeu où la mère et sa fille s’amusent avec une bouteille d’eau, la lecture à voix haute d’un conte au coin du feu) sont empreints d’une redoutable violence que les rires et les chuchotements parviennent à peine à dissimuler.
La mort (ou, tout du moins, la menace de son imminence) fait tellement partie du quotidien de Nana que l’enfant l’intègre dans son univers de jeu : la scène, très belle, où la petite fille trouve un lièvre mort, puis le ramène chez elle pour jouer avec et l’inclure dans son étrange monde à la féerie macabre évoque l’improbable collusion du cinéma de Depardon et celui de Tim Burton, comme si la Alice de synthèse du second avait enfin trouvé un peu de souffle dans l’ascèse documentaire du premier. Sans révéler la (petite) surprise que constitue la fin du film, on peut dire que cet équilibre entre la fable et le réel le plus cru trouve son apogée au détour d’un plan d’une terrifiante beauté. Petit Chaperon rouge à la recherche de la Mère au bois dormant, Nana continue son petit bonhomme de chemin. Le film impressionne tant dans son dernier tiers qu’on en oublierait presque les écueils de sa première moitié, où les longs plans larges et fixes se succèdent jusqu’à l’écœurement, trahissant par leur raideur un regard un peu trop sec, un brin complaisant. Mais déjà, Nana apparaît au détour de quelques scènes, insufflant à la monotonie du quotidien filmé par la cinéaste une poésie brute et désarmante. À l’image de cette scène bouleversante et furtive où, sans prévenir, l’enfant pose sa tête sur l’épaule de son grand-père : si la mort peut frapper sans crier gare, la vie, elle, n’a pas dit son dernier mot.