De la nouvelle de Philip K. Dick L’Homme doré, Tamahori n’a conservé qu’une lointaine parenté, celle d’un homme (Nicolas Cage, hilarant malgré lui) qui a le don de voir les événements deux minutes avant qu’ils ne se réalisent. Next n’arrive malheureusement jamais à aller au-delà de la bête répétition de cette figure.
Cris Johnson, dit « Frank Cadillac », est né avec un don de médium : il peut visualiser son futur immédiat deux minutes avant qu’il ne se produise et donc influer à sa guise sur le cours des événements. Le FBI, ayant eu vent de son « pouvoir », veut l’utiliser car « une-bombe-atomique-a-été-introduite-sur-le-territoire-américain-et-il-faut-à-tout-prix-la-localiser-pour-sauver-des-millions-de-vies » (sic). Les terroristes ont eux aussi entendu parler de Frank Cadillac et veulent le supprimer pour qu’il ne mette pas en péril la mission ! Mais voilà, Frank a enfin trouvé la femme de sa vie (il savait où aller…) et n’a pas très envie d’être mêlé à tout ça. Beau tableau en perspective…
Plus proche des productions Bruckheimer que du Minority Report de Spielberg, Next est donc avant tout un film d’action faisant la part belle aux courses-poursuites et explosions en tous genres. Et par chance Nicolas Cage est un spécialiste du film d’action comme on a pu le constater récemment dans le navrant Ghost Rider ou par le passé dans Les Ailes de l’enfer, Rock… Il est ici le héros parfait, suffisamment bon pour sauver des innocents lors d’un braquage (qui ne s’est pas encore produit) dans un casino, et assez crapuleux pour tricher à une table de poker grâce à son don de voyance. Et s’il rencontrait une femme parfaite incarnée par Jessica Biel (réchappée de 7 à la maison ou encore Blade Trinity, donc très en vogue…) dans le rôle d’une institutrice qui enseigne dans une réserve indienne à de pauvres laissés pour compte et fait des cadeaux à ses élèves pour leur anniversaire… Quelle chance, non ?
En vérité non, c’est plutôt le début des ennuis (et de l’ennui du spectateur…) ! Cris Johnson est à la fois poursuivi par de méchants terroristes (parlant français…) mais également par le FBI. Respectivement Thomas Kretschmann dans le rôle du méchant musclé et Julianne Moore en agent du FBI (très loin de son rôle de l’agent Starling dans Hannibal). Tout le monde est réuni et tout le monde est interchangeable. Gageons que Tom Cruise, George Clooney ou même Bruce Willis auraient tous pu jouer le même rôle, cela n’aurait rien changé dans la mesure où rien ne se dégage des personnages. Rien si ce n’est la consternation. Le jeu des « stars », car il s’agit bien de stars, n’est plus de l’ordre du stéréotype mais entre dans l’ère de l’industrie : regards profonds et vides de Nicolas Cage, naïveté insupportable de Jessica Biel, autorité inexplicable et ridicule de Julianne Moore sur son coéquipier, pour les trois têtes d’affiche du film. Même eux ne semblent pas y croire, difficile alors d’éprouver une quelconque empathie tant on est loin des protagonistes, tant on est loin de leurs corps et de leurs sentiments.
Lee Tamahori semble également occulter la présence physique de Nicolas Cage. L’inscription du mouvement des corps dans une temporalité flouée par le pouvoir de Cris Johnson n’est absolument pas exploitée (si ce n’est maladroitement dans la scène finale du hangar où enfin le don d’ubiquité apparait, tiens, tiens…), étonnamment la nouvelle de Philip K. Dick trouvait toute son originalité dans cette invention. L’œuvre de Philip K. Dick est donc vidée de toute sa matière créatrice pour n’en tirer qu’un énième produit de consommation.
Dès le générique épileptique ultra-stylisé, on entrevoit le manque d’ambition qui, finalement, traversera l’œuvre de part en part. D’une adaptation de Dick on pouvait s’attendre à mieux, ne citons que Blade Runner pour prouver qu’il est possible de rendre un univers fantasmé poétique. Mais les scénaristes de Next (dont Gary Goldman, auteur de Total Recall de Verhoeven ou encore des Aventures de Jack Burton… de Carpenter) ont préféré situer l’action de nos jours, évitant ainsi d’avoir à recréer un univers futuriste, et s’assurant par là même de passer totalement à côté de ce qui fait la richesse des écrits de Dick : la création minutieuse et « scientifique » d’un monde, d’un autre monde. Peut-être celui dans lequel le film aurait trouvé son essence…
Une scène pourtant laissait entrevoir le potentiel comique et créatif du propos. Lorsque Nicolas Cage rencontre enfin la femme de sa vie future, il cherche par quels moyens l’aborder et imagine toutes les techniques possibles. On voit à l’image le même espace-temps démultiplié à l’infini jusqu’à ce que « Frank Cadillac » parte enfin avec la femme de ses rêves. Belle séquence mais noyée dans un flot d’images imposées, Next ne décolle jamais de son statut de grosse machinerie hollywoodienne pour finir dans l’oubli le plus total.