Quand bien même les toutes premières répliques de Nos pires voisins seraient l’exclamation d’un étonnement (« It’s happening, it ‘s spontaneous ! Who saw this coming ?! »), il faut bien admettre que, en soi, le projet du film n’a rien de particulièrement surprenant : une fois passé le caprice de This Is the End, les jeunes loups d’Apatow reviennent roder dans leur habitat naturel, les suburbs, histoire de troquer l’échelle apocalyptique de leur guerre des mondes potache pour une modeste guerre des voisins dans laquelle on les sait un peu plus affutés et, surtout, un peu moins nombrilistes. En outre, le point de départ de ce nouveau film porté par le tandem Rogen-Goldberg s’inscrit dans la continuité directe d’un autre film pour lequel les deux compères furent également producteurs : à la fin d’En cloque : mode d’emploi, on quittait un Seth Rogen enfin papa et voilà qu’il nous revient avec femme et enfant, emménageant dans un petit quartier tranquille comme l’adulte qu’il a finalement réussi à devenir.
Oui mais voilà, sur la quiétude banlieusarde du foyer, un nuage noir fait son apparition : la maison voisine devient le repère orgiaque d’une fraternité de fac. Dès lors, les enjeux du récit s’affichent avec clarté : la guerre des voisins n’est que le prétexte pour mettre en scène un autre conflit, celui de deux générations – l’une tout juste rangée dans le confort d’une existence pantouflarde, l’autre complètement dérangée dans sa quête de la bacchanale ultime avec, en ligne de mire, l’espoir d’entrer au panthéon de la beuverie. Pour s’extraire de l’ornière toute tracée par ces prémices dichotomiques, renvoyant dos-à-dos vieux cons et jeunes cons, la petite fresque guerrière conçue par les scénaristes Andrew Jay Cohen et Brendan O’Brien s’étale dans un camaïeu de caractères : à bien y regarder, ici les adultes ne sont que d’anciens ados et les ados ne sont que des adultes en devenir.
Des clones de la déconne
En d’autres mots, face à la peur de vieillir nous sommes tous les mêmes. Teddy (Zac Efron), le meneur de la troupe d’étudiants déchaînés, se vautre avec un zèle quasi-cérémonial dans une capiteuse débauche afin ne pas avoir à affronter le vrai sérieux d’une vie professionnelle imminente. Mac (Seth Rogen) et sa femme Kelly (Rose Byrne) redoutent quant à eux que leur vie de famille ne chavire dans une routine bien fade répartie entre le petit pavillon middle class et l’open space grisâtre. De part et d’autre de la frontière qui sépare les deux maisons, la même inquiétude, le même syndrome de Peter Pan poussent les protagonistes à avaler ensemble de belles poignées de champignons hallucinogènes et de respirer à pleins poumons les effluves de haschich se consommant dans d’immenses braséros.
Cette similitude des deux générations belligérantes s’affiche d’ailleurs très clairement dans le générique de fin : afin d’illustrer chaque nom s’affichant à l’écran, le bébé du couple Mac-Kelly apparaît déguisé dans les costumes de chaque personnage. Ce clonage tardif des protagonistes agît comme un révélateur sur l’ensemble du film qui, de bout en bout, sème les éclats d’une idée directrice : la comédie américaine post-Apatow se fonderait sur des figures figées que les disciples du réalisateur de 40 ans toujours puceau n’ont plus qu’à cloner. Teddy, désigné par Mac comme ce que des « scientifiques gay auraient conçu dans un laboratoire », l’admet lui-même : le beau gosse fêtard qu’il est n’est pas unique, mais un concept, et des milliers d’autres Teddy feront leur apparition. Sans trop se fouler, Nos pires voisins recycle ainsi les situations déjà aperçues ailleurs : le personnage du gringalet Christopher Mintz-Plasse, monté comme un étalon, n’est qu’une variation du même humour qui faisait de Michael Cera un camé lubrique dans This Is the End – film copié jusque dans sa bande-annonce avec la reprise de l’idée pas franchement brillante d’un duel aux godemichets ; Seth Rogen ne renouvelle en rien sa bonhommie puérile ; l’emploi de Dave Franco, petit frère de James avec qui il partage un air de famille flagrant, et ainsi de suite…
L’humour mécanique
Bien à regret, Nos pires voisins tient donc un peu de la peinture par numéro : la forme est déjà toute tracée, ne reste plus qu’à Nicholas Stoller et ses interprètes de la colorier. Loin d’être véritablement inintéressant, le film semble tout de même condamné à demeurer un peu anecdotique. Ses maigres exploits (des vannes pour le coup vraiment désopilantes, la révélation du formidable talent comique d’Ike Barinholtz) partagent un point commun avec la curieuse aptitude de Pete (Dave Franco), capable de bander d’un seul coup. Cette habilité toute mécanique et parfaitement vaine est aussi celle du film, déversant sans peine un flot de blagues improvisées, mais n’empruntant que des voies sur lesquelles Rogen et consorts nous ont déjà tant de fois promené.