Mine de rien, Judd Apatow est en train de redéfinir les contours de la comédie américaine. Ses propres réalisations cartonnent (40 ans, toujours puceau, En cloque… mode d’emploi), ses productions aussi (SuperGrave et ce Sans Sarah, rien ne va, qui a engrangé 62 millions de dollars pour un budget rikiki) en utilisant presque à chaque fois le même concept : humour gras et histoire d’amour avec en son centre, un personnage masculin dont les contours légèrement beaufs cachent un cœur de midinette. À ce titre, Sans Sarah, rien ne va (traduction française affligeante, une fois de plus, pour un titre original plus sobre : Forgetting Sarah Marshall) est le plus frontal – dans tous les sens du terme, le film s’ouvrant sur une scène qui met à nu, au propre comme au figuré, son héros.
Peter Bretter (Jason Segel, de la série How I Met Your Mother) est le compagnon de Sarah Marshall (Kristen Bell, vue aussi à la télé dans Veronica Mars et Heroes), vedette d’un show crétin type Les Experts. Quand le film commence, il l’attend à la maison – il est compositeur de musiques de films – et en sortant de la douche, il la trouve dans le salon. Il s’attend à faire l’amour, mais elle est là pour le plaquer. S’ensuit une scène de rupture étonnante : le grand gaillard, nu comme un ver, s’effondre, supplie sa compagne pendant que cette dernière, compatissante mais déterminée, tente tant bien que mal d’abréger le supplice. L’absurdité de la situation prête à rire mais en réalité, un vrai malaise s’installe, dont joue habilement le réalisateur – un inconnu nommé Nick Stoller. L’audace est réelle et pousse à son paroxysme l’essence du cinéma de Judd Apatow : le comique outrancier (principalement des gags à caractère sexuel ou scato) qui caractérise ses films n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’homo americanus contemporain a peur de ne pas être à la hauteur avec les femmes (40 ans, toujours puceau), a envie de fonder une famille (En cloque… mode d’emploi) et peut pleurer pendant trois mois sur une rupture difficile (Sans Sarah, rien ne va). Il ne ressemble pas à Brad Pitt ou George Clooney, mais a les traits banals et sympathiques de Steve Carell, Seth Rogen ou Jason Segel. Il aime la bière, le poker et les soirées entre potes, et il pense que les jolies filles sont hors de sa portée.
Dans l’univers très policé et codifié des comédies américaines (surtout celles issues des studios), ce glissement progressif vers une redéfinition des rôles fait office de révolution. Il n’y a, en réalité, pas de quoi s’emballer : le héros a beau faire bonne figure, le propos reste tout de même très conventionnel. On est loin de l’esprit des frères Farrelly, dont l’obsession pour les freaks en tous genres atteint une forme de poésie que les productions Apatow sont loin d’égaler. Dans Sans Sarah, rien ne va, Peter décide de partir à Hawaï pour quelques jours afin de se changer les idées. Évidemment, sa dulcinée s’y trouve aussi avec son nouveau boyfriend, une rock-star anglaise délicieusement too much mais au potentiel sous exploité (Russell Brand, star du stand-up au Royaume-Uni, l’incarne avec une outrance à peine tempérée par son flegme britannique). Peter va rencontrer une autre jeune femme, apprendre à oublier son ex et retomber amoureux. Si l’on excepte les nombreuses scènes graveleuses et drôles une fois sur trois, Sans Sarah… n’est rien moins qu’une comédie romantique de plus, à la mise en scène approximative, qui ne brille que par la présence en son centre d’un personnage réellement attachant dont les caractéristiques complexes auraient mérité un peu plus d’efforts de la part du réalisateur. À y regarder de plus près, on découvre sans surprise que le scénario a été écrit par Jason Segel lui-même, excellente révélation dans un rôle qui devrait lui servir de passeport pour d’autres horizons.