Relatant les déboires professionnels et sentimentaux de trois aspirants scénaristes à l’aube des années 1990, Nuits magiques se voudrait un hommage à la fois tendre et irrévérencieux à la grande époque du cinéma italien. Sa structure rétrospective et polyphonique laisse cependant deviner, derrière la comédie, un projet plus ambitieux : donner une vue en coupe d’une cinématographie à bout de souffle. C’est que la satire « hénaurme » que propose Paolo Virzì vise avant tout à désacraliser le souvenir d’un âge d’or qui pèse encore comme un fardeau sur la production italienne contemporaine. Il suffit pourtant d’attendre dix minutes pour qu’une scène dévoile les limites de cette entreprise de démystification. Luciano, fils d’ouvrier fraîchement débarqué de sa province natale, s’extasie devant ce qu’il croit être des fontaines baroques avant qu’Antonino, l’un de ses concurrents au prix Solinas du meilleur scénario, ne corrige ses erreurs de datation par une interminable logorrhée. Luciano l’interrompt alors pour dénombrer les autres clichés qui trouvent grâce à ses yeux dans cette Rome de carte postale : « le soleil, le Vatican et les putains ». Le champ-contrechamp qui capte l’essentiel de l’échange laisse alors place à un plan de grue acrobatique soulignant l’enthousiasme du jeune homme, avant qu’un cut n’achève son éloge sur la mention de La Dolce Vita. Chargé d’ironie, cet étalement de lieux communs (le prolétaire inculte, l’intellectuel pédant, les rayons dorés du soleil romain, les prostituées girondes, le cinéma de Fellini) pourrait illustrer le motif éprouvé du provincial candide montant à la capitale, ce qui contribuerait à instaurer une distance entre le metteur en scène et son sujet. Au contraire, s’en tenant à illustrer l’ébahissement de Luciano, la mise en scène sert d’écrin à la célébration d’un stéréotype, celui d’une Rome aux allures d’image d’Épinal.
Roma città meravigliosa
Confrontant ainsi ses trois héros aux différents espaces qui ont forgé leur imaginaire cinéphile (le teatro 5 de Cinecittà, l’osteria où se cotoyaient les grands maîtres, etc.), Nuits magiques reconduit la dynamique de « contamination » déjà à l’œuvre lors de l’arrivée de Luciano à Rome : l’exaltation des personnages y revêt une fonction performative qui induit le spectateur à admirer lui-même la reviviscence d’une industrie aujourd’hui moribonde en Italie. Outre qu’il témoigne d’un certain passéisme, ce regard s’accompagne d’une déférence excessive à l’égard des vestiges d’une époque révolue. De fait, le film s’inscrit moins dans le lignage de la comédie italienne que dans celui d’un cinéma comique travaillé par le genre du merveilleux, où l’ascension sociale des personnages est envisagée comme une élection miraculeuse au sein d’un monde fastueux et privilégié, dont attestent autant le luxe des réceptions auxquelles ils participent que l’étonnante passivité qu’ils affichent tout au long du film. Nuits Magiques abandonne ainsi l’ancrage socio-économique qui faisait la pertinence des films de Risi et de Germi pour embrasser le parti contraire, en accouchant d’une comédie littéralement utopique. Rome y apparaît en effet moins une ville inscrite dans le temps et l’espace qu’un terrain de jeu où se confondent le monde et les possibles offerts par le cinéma, comme lors d’une scène dans l’appartement du trio, digne de la commedia dell’arte, où Luciano revêt les habits d’un metteur en scène dirigeant depuis les coulisses Antonino afin d’éloigner un réalisateur gênant. Reste que ce principe de perméabilité entre réel et fiction n’est que trop rarement pris en charge par une mise en scène qui aurait sans doute gagné à maintenir le cap du mélange des genres (comédie, polar, film sur le cinéma) annoncé lors des premières minutes du film. À défaut d’être réussie, la proposition aurait été, au moins, beaucoup plus singulière.