À Lima, au Pérou, le mois d’octobre est le mois du Christ miraculeux, l’occasion de processions dévotes dans les rues de la ville. Cette manifestation religieuse automnale, dont les images parsèment Octubre comme autant d’intermèdes grandioses ou même grandiloquents, offre un contre-pied un tantinet malicieux à la narration désenchantée de ce premier long-métrage de Daniel et Diego Vega, Prix du Jury « Un certain regard » en 2010. Car dans la vie de Clemente, personnage principal de cette comédie pince-sans-rire sur fond de misère sociale, tout semble concorder en ce mois d’octobre pour permettre l’avènement d’un miracle, que constituerait l’explosion pour ce prêteur sur gages d’une tendresse jusqu’ici inexistante.
Point de départ, en termes d’inspiration, des deux réalisateurs péruviens, la circulation d’un billet de banque dans L’Argent de Bresson donne lieu ici à un running gag assez réussi : le personnage principal, ayant accepté lors d’une transaction, à la faveur d’un instant d’inattention, un faux billet de banque, passera ensuite tout le film à essayer de s’en débarrasser. Mais d’une manière ou d’une autre, le faux billet lui reviendra toujours. Inspirés de leur propre aveux par les films de Jim Jarmusch et d’Aki Kaurismäki, les frères Vega construisent à l’avenant un récit décalé, ou l’intrusion d’éléments perturbateurs au cœur du quotidien va peu à peu mener le personnage de Clemente, toujours impassible dans ces perturbations, à faire face à des problèmes auxquels ils n’aurait jamais imaginé avoir à faire face. Car dans la vie de Clemente, tout est réglé au millimètre près : des « clients » réguliers, pour lesquels il est un prêteur sur gages fiable, pointilleux et laconique. Des prostituées, qui lui dispensent leurs services à intervalles réguliers. Enfin, une vie de célibataire endurci et heureux, qui ne laisse place à aucune dégoulinade sentimentale et lui évite les inconvénients de la vie en communauté.
Ce bel ordre se trouve toutefois bouleversé le jour où Clemente rentre chez lui pour trouver dans son salon un bébé, laissé apparemment par une prostituée. Clin d’œil biblique cocasse, le bébé est présenté dans un panier, devenant ainsi un avatar du petit Moïse, soit l’intrusion d’un prophète bientôt capable d’écarter les mers dans un monde apparemment pas si miraculeux que ça. Dès lors, c’est la débandade : Sofia, une voisine, décide que le bébé a besoin qu’on s’occupe de lui, s’installe chez Clemente et va même jusqu’à le rejoindre dans son lit, la nuit, sans avoir requis pour cela une quelconque autorisation préalable. Puis, c’est au tour d’un ami de Sofia, vieil homme sans abri et débrouillard, de venir squatter la cuisine. Obsédé par la nécessité de faire sortir sa fiancée, dans le coma, de l’hôpital où l’on s’occupe d’elle, le vieil homme y parviendra, ce qui permettra enfin de grossir encore les rangs des nouveaux « amis » de Clemente d’une manière plutôt inattendue.
Jouant sur une certaine « impassibilité » du matériau de départ, tant en termes de mise en scène (épurée au possible, avec une grande majorité de plans fixes), que des principaux traits de caractère du personnage principal (blasé et inexpressif jusque dans les pires péripéties), Octubre évoque, l’air de rien et pour mieux le pervertir, l’un des genres les plus codifiés qui soient : la comédie romantique. Malgré la noirceur, rappelée en filigrane à la conscience du spectateur, du monde ici porté à l’image, le film des frères Vega se construit en effet sur un certain nombre de clichés dramaturgiques qui donnent ensuite matière à un détournement absurde des situations : un bel homme, misanthrope et taciturne, ne voit pas les trésors de tendresse et de dévouement qu’une femme déploie pour lui. Lorsqu’il en prend conscience et décide de les accepter, la femme a disparu. Sur cette trame très canonique, les réalisateurs travaillent des oppositions apparemment inextricables, dressent des trajectoires croisées pour finalement conclure à un espoir doux-amer, marque d’un monde ou si rien n’est perdu, rien ne semble jamais gagné pour autant.