On ne peut moins bavard, Octubre, prix du Jury de la sélection « Un certain regard » au dernier Festival de Cannes, s’appuie sur une mise en scène d’une redoutable efficacité. Cadres, éléments de décors, déplacements des personnages dans l’espace et jeu des acteurs sont millimétrés au plus près dans ce film où s’entrechoquent les solitudes.
Au Pérou, les miracles arrivent en octobre. C’est le mois de célébration du Seigneur des Miracles, un culte célébré à Lima depuis le 17ème siècle. C’est précisément un petit miracle que racontent les frères Vega dans Octubre. Pas un miracle mystique ni une illumination de Noël irréelle, mais un petit miracle de la communication.
Clemente, prêteur sur gages, est le héros de cet événement, protagoniste malgré lui d’une transformation de sa relation au monde. Connu de tous, l’homme enchaîne ses petites affaires au quotidien. Peu loquace, engoncé dans une solitude qu’il trompe par des visites régulières chez les prostituées, c’est un adepte de la non-communication. Un vieux garçon pourtant séduisant qui subit sa solitude. À l’occasion d’un événement pour le moins incongru, Clemente et sa vieille fille de voisine, Sofia, se rapprochent. Lui, par nécessité, elle, par espoir de le conquérir. Lui, souffrant de ses relations superficielles mais ne faisant rien pour changer, elle bigote pourtant dévorée de désir charnel et ouverte aux autres. Lui, l’ours muet, elle, la petite souris besogneuse qui cherche à rapprocher les uns et les autres.
Autour de Sofia et Clemente, couple improbable, gravitent des personnages qui le sont tout autant, formant le portrait d’une catégorie de petites gens de Lima. Les réalisateurs ne s’attachent pas à un portrait à caractère social sur un mode naturaliste, s’attardant sur les raisons de la pauvreté, mais bien à la façon dont celle-ci agit sur leurs caractères. Nulle intention de filmer directement les méandres de l’administration, le poids de la politique sur les petites gens. Sans détacher leur film de son substrat social, les cinéastes s’attachent avant tout au ressenti des personnages. Intention tout entière portée par une mise en scène très originale : sobriété, économie de dialogue, précision du cadre, déplacements du point de vue… Tout procède de micros événements du quotidien qui transforment tout en subtilité le vécu du héros masculin. Références affichées des réalisateurs : Bresson, Kaurismäki, Jarmusch. Qu’ils résument ainsi : « Nous préférons la parcimonie qui a ses risques. » Dans son rapport au monde et à l’autre, leur Clemente a effectivement quelque chose du héros de L’Homme sans passé (Kaurismäki, 2001), voire du Don Johnston de Broken Flowers (Jarmusch, 2004).
Le ton, le substrat, les couleurs de ce film péruvien s’inscrivent un peu dans la veine d’une partie du cinéma sud américain des années 2000. Un certain Sangre (2006), du Mexicain Amat Escalante (un des poulains de Carlos Reygadas), qui lui aussi, avec tous ses défauts, s’attardait sur l’ennui et la solitude des petits travailleurs. Brut, rude, rêche, même sans raconter de drame criminel ou passionnel, Octubre, à l’instar de son confrères mexicain, se frotte à la réalité sans l’enrober d’esthétisme, sans l’enjoliver, sans lui appliquer ni fards ni fioritures. « Le film parle de solitude, de désespoir, de l’incapacité d’avoir des relations saines avec les autres et nous pensons que ceci est suffisamment terrible et dur pour ne pas avoir à le traiter de manière mélodramatique » expliquent les frères Vega. Bien au contraire, les minuscules drames de l’incompréhension et du silence du quotidien de leurs personnages sont traités par un humour noir très fin, allant parfois jusqu’à l’absurde, notamment dans une fameuse scène d’anniversaire rassemblant des éclopés de la vie formant une drôle de famille recomposée. Cet humour fait la particularité des cinéastes péruviens et les singularise, de même qu’une profonde tendresse, une humanité pas glaciale comme chez Escalante, dont le deuxième long-métrage, Los Bastardos (2009), a confirmé un intérêt pour des personnages et des situations plus violents.