Moon walk
En expédition en Thaïlande, Kad Merad part à la recherche d’images apparemment manquantes au film des premiers pas de l’homme sur la Lune, dissimulées depuis tout ce temps par le FBI. Comme son héros, se traînant derrière elles, On a marché sur Bangkok retrouve l’obsession du duo Kad et Olivier pour les images américaines, palpable depuis leurs premiers pas au cinéma dans Mais qui a tué Pamela Rose ?. De la parodie du Silence des agneaux – qui dépassait déjà difficilement une accumulation de sketches moins efficaces sur la durée que dans la concision que leur réservait la petite lucarne, mais parvenait tout de même à créer des personnages de crétins made in France par moments assez drôles –, On a marché sur Bangkok n’a pourtant gardé que sa fascination pour le cinéma américain. Ne cherchant plus désormais à le détourner mais bien seulement à le reproduire, le film se pose comme une sorte de patchwork de comédies françaises et US et d’action movies, mélange hasardeux dans lequel rien ne semble plus lui appartenir.
Comédies
Il s’ouvre sur le ressort comique assez classique du Français maladroit, chauvin et légèrement raciste sur les bords (mais juste sur les bords ; car au fond, il a bon cœur) mêlé à une intrigue internationale qui le dépasse, sous la coupe de comédies françaises comme Banzaï, La Chèvre, ou plus récemment OSS 117. Les blagues usant de ce ressort-là sont, à l’image du corps noyé d’Olivier Baroux qui remonte à la surface après avoir voulu battre un record d’apnée dans la séquence d’ouverture, flottantes et nécrosées. Rapidement, le film cite alors son autre source, plus importante ; ou plutôt, il la copie/colle ouvertement. Après avoir été drogués, Kad et Alice Taglioni se réveillent en prison, amnésiques, Kad un clou dans l’oreille. S’ensuit un montage photo d’une orgie grand public qu’on leur montre au commissariat : quelques verres de vodka, des fléchettes dans le cul d’un Thaïlandais (soyons grossiers, le film l’est), le fameux clou planté au moyen d’un talon de chaussure… Et le flic de conclure alors en explosant de rire : « Very bad trip ! » Loin de la parodie ici, Baroux reproduit avec paresse et sans vergogne ce qu’il voudrait finalement que son film soit. Comme s’il nous invitait à aller le voir ailleurs. Ou plutôt à aller voir d’autres films que le sien s’il nous venait l’envie d’une comédie.
Familiarité des codes
Car il n’est pas interdit de douter que ce film soit une comédie. À leur tour, l’action movie de base et le drame sont aussi grassement recopiés. Imprégné des clichés du genre, le film se pare d’un esprit de sérieux sans jamais parvenir au niveau d’efficacité de ses modèles. Enchaînant les « séquences clés », il se contente de faire comprendre très superficiellement leur sens symbolique à l’aide de clichés formels : « la ville » (plans fixes la nuit : ses lumières, sa foule fourmillant en accéléré, sur une musique rock), « l’ennemi » (un boss du FBI : son bureau aux vitres plongeant sur la ville, son mini-golf, son machiavélisme, ses mafieux aux lunettes noires), « la course poursuite » (au milieu des rues étroites et des marchés, un saut depuis un tremplin), « la triste séparation » (les larmes d’une petite fille, les promesses éternelles), « les belles retrouvailles » (au ralenti, les accolades)… Comme si la seule évocation de tous ces codes tant rabâchés suffisait à déclencher une émotion, comme si leur empilement parvenait nécessairement à construire une « histoire ». Le rythme du film est donc inexistant, se débarrassant à une allure constante des informations pour passer aux suivantes. Dans cet ennui, inutile de chercher un quelconque intérêt de Baroux pour ses personnages. Confondant efficacité et superficialité, On a marché sur Bangkok a la vulgarité de ces films qui jettent leurs images au visage du spectateur en se satisfaisant de lui en donner pour son argent : c’est-à-dire en respectant le cahier des charges qu’il s’imagine être un film.
Crédibilité
Le mélange d’humour et de premier degré devient ainsi incompréhensible. Dès lors que le franchouillard pataud se découvre héros sous le regard d’une petite fille orpheline, la dérision est exclue. Sans transition, Pierre Richard devient Indiana Jones, Coluche devient James Bond. Et le film balance de la même manière pour ses personnages secondaires. Les mafieux du film doivent tour à tour être crédibles dans leur rôle, ou bien faire rire. Et le film patauge dans ces eaux tièdes, toujours indécis.
Reste une dernière séquence, non pas drôle, mais risible. Achevant l’éducation amoureuse de Kad, la petite fille le pousse à imaginer la déclaration qu’il ferait à se belle. À nouveau ici, on copie ; mais pour la première fois, la réappropriation est plus personnelle. Kad reprend une autre déclaration pleine de promesse et d’avenir, le fameux « Moi président » de Hollande : « Moi, mari de Natacha… Je veillerai à faire de chaque jour une nouvelle aventure… à être à la hauteur de son amour… ». Cachée derrière un rideau, ladite Natacha assiste bien sûr à toute la scène et se met à pleurer sur ces magnifiques paroles. Au moment de ce supposé climax émotionnel, alors qu’on pense immanquablement au décalage entre ce discours présidentiel et sa mise en pratique (il n’est qu’à voir la fronde socialiste aujourd’hui en branle au sein même du parti si l’on doutait encore qu’il y eût quelque chose de pourri au royaume de France), est alors immédiatement révélé tout le vide de cette parole grandiloquente. Face à cet ultime fac-similé, la croyance n’est définitivement pas au rendez-vous, et l’on capitule devant une énième comédie française en mal d’inspiration.