Sous ses dehors de modeste teenage movie, Paranoïak s’inscrit en réalité dans le registre plus que tendance du remake. Et pas n’importe lequel puisque D.J. Caruso s’attaque au mythique Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Le voyeurisme et la paranoïa s’immiscent ici insidieusement dans la vie d’un ado et non plus d’un homme comme dans l’original. Cette variation offre une véritable liberté quant à l’écriture du personnage principal et la mise en place progressive d’un univers visuel restreint, redondant, mais parfaitement calibré, insuffle un vrai caractère au film. Le jeu trouble de David Morse et celui, plein de vie et d’énergie de Shia LaBeouf achèvent d’attirer la sympathie sur ce « petit film » sans prétention…
Après avoir frappé son professeur d’espagnol qui avait manqué de respect à son défunt père, Kale se retrouve en liberté surveillée. Il ne peut sortir de sa maison sous peine de voir arriver la police dans la minute. Le voici donc cloîtré et condamné à passer son été à s’ennuyer plus qu’il n’aurait pu l’imaginer. Jusqu’à ce qu’il découvre qu’espionner ses voisins peut se révéler être un sport passionnant…
Le voyeurisme en tant que symptôme de la maladie convenue du cinéaste était une habile mise en abyme du maître du suspense. Fenêtre sur cour reste à jamais dans le panthéon des plus grands Hitchcock. Pour moderniser son récit, outre la transposition homme/ado qui génère nombre de gags et de quiproquos en tous genres, Paranoïak y ajoute le mal cinématographique de la fin du XXe siècle (et même bien avant, diront les puristes mais pas de manière aussi systématique): la paranoïa. Celle-ci était partout et il faut bien rendre à César ce qui lui appartient en reconnaissant l’impulsion d’X‑Files et de tous ses sous-produits télévisuels se penchant sur cette peur collective. Au cinéma également : Bug, Signes, Ennemi d’État, The Game… la « parano » est partout. Toutes les variations sont possibles sur une thématique génératrice d’un nombre infini de sujets/objets. Paranoïak en est une nouvelle déclinaison.
Le « mal » peut s’observer partout et ne naître de rien, comme Bug le suggérait avec alacrité. Le dénominateur commun était à chercher toutefois du côté de la violence. Qu’elle soit sourde ou au forceps, le soupçon improbable est aussi dangereux qu’une découverte macabre (Ennemi d’État). Cet axe diabolique a deux origines possibles et se révèle en définitive étroitement lié au voyeurisme (Mulder n’était-il pas constamment surveillé pendant les neuf saisons d’X‑Files?). La première (la plus probable) est le fruit d’une entité abstraite omniprésente et omnipotente plus connue sous le nom d’État. La seconde (plus isolée mais toute aussi dangereuse) relève du cas particulier de la découverte dangereuse et involontaire d’un crime, souvent pervers. Le danger dans les deux cas de figure est soit de s’être monté un scénario aussi gros qu’improbable seul dans sa petite tête fiévreuse, soit d’être pris pour un fou, ni plus ni moins le cas de David Vincent au début des Envahisseurs.
Paranoïak appartient à la deuxième catégorie. De ses fenêtres, Kale peut observer tout ce qui se passe, sa maison devient très vite une tour de contrôle. Le point de départ est identique au modèle original : un meurtrier se cache-t-il dans l’ombre de cette agitation, là sous nos yeux ? Kale n’est-il qu’un ado qui vient de perdre son père et un petit peu aussi la tête ? Les décors très travaillés jouent à flouer la perception de la réalité, chaque espace ayant son propre univers visuel, ses couleurs, son genre en fonction de qui y vit. La clôture que s’est fabriqué (avec des nains de jardins!) le jeune Kale définit en réalité les limites du cadre du film. On ne sort jamais de cette grande demeure aux fenêtres immenses.
Pour alterner avec les images qui inondent la vie moderne, Kale se fait de chez lui sa propre série télé. La série se joue dans le théâtre d’une petite bourgade résidentielle, à travers la vie follement intéressante (ou tout aussi peu qu’un soap…) de ses quelques voisins délimités par l’écran improvisé qu’est la fenêtre, fenêtre sur le monde et fenêtre sur la vie dont est privée Kale. Du portable à la mini DV, tout appareil n’est qu’un réceptacle supplémentaire pour accueillir une photographie, une vidéo ou un son. Dans le film de D.J. Caruso (Destins violés, Salton Sea…), on est perdu dans un brouillard épais et l’on hésite autant que son héros à se pénétrer dans un petit film d’été mais à l’instar de Shia LaBeouf, le charisme et le caractère du film nous emportent.
Sans bien entendu se hisser à la hauteur d’un des plus grands Hitchcock, Paranoïak a le double mérite de remettre en perspective les notions contemporaines de voyeurisme et de paranoïa et de les intégrer habilement dans un scénario moderne et malin. Et les quelques travers naïfs du scénario (un poil frileux), ou les quelques excès de jeu de David Morse (ou la transparence de Carrie-Anne Moss) passent presque inaperçus… Presque.