Le Taïwanais Chung Mong-Hong est un réalisateur prolifique de publicités. Après trois courts-métrages et un documentaire (Doctor), il signe un premier long-métrage, Parking, présenté à Cannes à « Un certain regard » en 2008. Concentré en une nuit, dans un immeuble à Taipei, le film raconte la quête absurde de Chen Mo (interprété par Chang Chen – Happy Together, Tigre et dragon, Three Times…) cherchant le propriétaire d’une voiture qui bloque la sienne et l’empêche d’aller retrouver sa femme qui l’attend. La poursuite de cet objectif amène le jeune homme à rencontrer divers habitants de l’immeuble, à découvrir des vies souvent étonnantes, à vivre des expériences pour lui inédites. Si l’on peut se réjouir qu’un film taïwanais parvienne jusqu’à nous, l’économie du cinéma du pays de Hou Hsiao Hsien et Tsai Ming Liang étant plutôt mal en point, et si Parking a le mérite de tenter certaines choses, le film ne convainc pas tellement en raison de son manque d’originalité et de son aspect trop désordonné.
Apparemment en déplacement professionnel, Chen Mo s’apprête à regagner le foyer familial où l’attend sa jeune épouse. Après avoir pris le temps de choisir avec un soin extrême le gâteau qui fera plaisir à sa compagne, il constate qu’une voiture bloque la sienne, et entre dans l’immeuble le plus proche dans l’espoir de trouver le propriétaire du véhicule importun. Chen Mo mettra la nuit entière à atteindre son but, une série d’événements souvent absurdes se mettant en travers de son chemin. Lors de cette traversée kafkaïenne, il fait la connaissance d’un couple de personnes âgées élevant leur petite fille, qui le prennent pour leur fils jadis condamné à mort ; d’un ex-truand devenu un tranquille barbier solitaire (Jack Kao – Goodbye South, Goodbye, Good Men, Good Women, La Cité des douleurs…) ; d’une prostituée endettée violentée par son mac ; d’un tailleur de vêtements poursuivi par la mafia. Se déplaçant des uns aux autres, Chen Mo est le plus souvent passif : s’il dit vouloir débloquer sa voiture et s’en aller, il est moins doté de volonté que d’un regard découvrant des êtres et des situations qu’il ne connaissait pas et qui, toutes déplaisantes qu’elles soient, l’attirent. Les vies rencontrées n’ont en effet rien d’enviable : l’immeuble est sordide, les personnes baignent dans la violence, la solitude, la douleur, la peur, la précarité… On comprend vite que Chen Mo n’a aucune envie de rentrer chez lui, que cette succession de contrariétés l’empêchant de démarrer sa voiture l’arrange bien. La fin du film nous éclaire sur les raisons de sa réticence à rentrer, mais c’est le fait de ne pas les connaître qui auparavant intéresse. L’entêtement de cet homme prétendant désirer obtenir quelque chose vers quoi il marche à reculons le rend plutôt atypique et intéressant, nous regardons amusés sa mauvaise foi.
En traitant par l’absurde des situations plutôt réalistes, conséquences de la solitude et de la violence de la vie urbaine moderne, Chung Mong-Hong dote son film d’une couleur assez particulière. Que l’accumulation d’insolite (la présence d’une tête de poisson dans l’évier dégoûtant des toilettes) et la répétition des situations (Chen Mo essaie et réessaie de faire sortir sa voiture, il appelle régulièrement sa femme pour l‘avertir de son retard) fassent sourire ou partager le désarroi du protagoniste, elles plongent l’immeuble et ses habitants dans un climat qui leur est propre, frôlant le fantastique, le cauchemardesque, la mauvaise farce. Pour autant, malgré l’effort de rendre atypique et marquant l‘univers du film, trop de choses ont un goût de déjà vu. On retrouve notamment des clichés illustrant le désarroi des habitants des métropoles modernes : prostituée obligée de supporter la violence des clients et de son mac depuis que l’usine dans laquelle elle travaillait en Chine l’a licenciée pour raisons économiques ; barbier qui, après avoir trempé dans divers trafics lui ayant fait perdre sa main, a choisi une vie rangée et solitaire ; tailleur effrayé par une mafia sans scrupules grâce à laquelle il a tenté de sortir de la précarité… Concernant les stéréotypes, les séquences avec les grands parents endeuillés sont les plus agaçantes, lorsque par exemple Chen Mo, ne voulant contredire la grand mère aveugle croyant au retour de son fils défunt, lui lit une lettre de ce dernier, en en changeant le triste contenu pour l’édulcorer. Nous n’adhérons pas à l’émotion surjouée des personnages, nous ne croyons pas à l‘attachement immédiat et naïf, voire niais, que manifeste la petite fille du vieux couple envers Chen Mo, en qui elle croit enfin trouver un père. La scène en flash-back nous révélant une partie de l’histoire de Chen Mo et son épouse ne fonctionne pas, elle traîne en longueur. Nous restons également à distance de la toute fin du film, plutôt grossière.
La posture de Chen Mo n’est pas non plus originale, nous connaissons cette figure de l’étranger ballotté de situation inconnue en situation inconnue, dont le rôle est de mettre en valeur, par son regard vierge et étonné, les vies des êtres qui se présentent à lui. Le scénario est construit sur un principe trop systématique pour que l’on y adhère. Un lieu dont on ne peut sortir, une nuit qui semble interminable, un objectif qui est en fait un faux prétexte (trouver le propriétaire de la voiture qui gène), un intrus que les circonstances contraignent à découvrir des vies inconnues : la volonté de faire traverser par Chen Mo des situations absurdes et des personnages hauts en couleur se fait trop sentir pour que nous entrions vraiment dans le récit. Dans ce contexte, les quelques effets de style qu’expérimente le cinéaste (caméra à l’épaule, flou et ralenti lors d’une poursuite dans un marché nocturne bondé, succession heurtée de plans courts lors d’un rêve…) apparaissent assez vains, artificiels. L’accumulation de tonalités diverses (mélodrame, absurde, réalisme, film de gangster) n’est pas tellement bien maîtrisée, nous avons moins l’impression d’une exploration des formes cinématographiques que celle d’un fourre tout trop brouillon, paradoxalement constitué de stéréotypes et de tentatives variées.
Le regard que le cinéaste (se réclamant entre autres d’Ozu et de Kaurismäki) porte sur ses personnages est en revanche assez réussi, il parvient à rendre sympathiques voire attachants certains de ces malheureux en mettant en évidence leur dignité. Les acteurs sont à la hauteur, notamment Jack Kao, aussi charismatique que dans ses autres films. Une certaine fraîcheur bienvenue se dégage du film. Parce qu’il ne veut pas que les acteurs jouent mécaniquement, Chung Mong-Hong ne les fait pas répéter, il modifie tous les jours les dialogues pendant le tournage et les laisse improviser. Cette ouverture et cette adaptation des personnages à ce que proposent les comédiens insufflent au film un élan qui, n’annulant pas les lourdeurs soulignées, tend à les atténuer. L’image, enfin, est séduisante : inspiré par Hopper, le cinéaste, qui a ici été le chef opérateur, rend compte avec habileté de l’aspect d’une ville la nuit, de la place que les êtres occupent dans des lieux sombres et déserts. À travers les histoires des personnages, leurs métiers, leur inscription dans un décors, on aime ressentir le rythme de Taipei, bien qu’elle reste la plupart du temps hors champ.