Pour éviter d’être accusés de mauvaise foi ou de subjectivisme mal placé, constatons de prime abord qu’il fut un temps où nous aimions beaucoup Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Leurs scénarios cynico-percutants relevaient le niveau cinématographique de films a priori inconsistants comme Un air de famille ou Cuisine et dépendances, devenus des recueils de répliques cultes. Leur style décalé convenait parfaitement au magnifique diptyque d’Alain Resnais, Smoking/No Smoking. Leurs interventions récurrentes aux César cassaient délicieusement le rythme soporifique de la cérémonie. Mais depuis qu’Agnès Jaoui s’est mise à prétendre à la réalisation, notre affection pour eux s’est transformée en lassitude. On passera sur le succès relativement immérité du banal Goût des autres ; on peut aussi facilement oublier Comme une image, assez nul et non avenu. Mais Parlez-moi de la pluie annonce un déclin véritable : de cyniques, les Jaoui/Bacri sont devenus misanthropes. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cela ne leur va pas du tout.
Le dossier de presse, parcouru rapidement avant la projection, donne très vite le ton du film : interviewés pour parler de leur nouvelle production, les Bacri/Jaoui se fendent d’une boutade (moyennement drôle) sur le titre du film, qui n’aurait pas de signification particulière et serait plutôt « nul », à l’image de leurs autres titres (permettez-nous donc un petit « lol » à leur adresse), puis, plus sérieusement, indiquent qu’ils ont voulu cette fois parler de l’engagement en politique, tant ils se sentent concernés par les gens qui ne votent pas, qui n’y trouvent pas d’intérêt, parce que finalement, la politique, c’est E‑S-S-E-N-T-I-E‑L, quoi, mince alors ! On devrait donc leur savoir gré de nous ouvrir les yeux. Mauvais départ. Parlez-moi de la pluie, enfin, signerait le grand retour de Bacri/Jaoui à la comédie. Conclusion : on va beaucoup rire, mais aussi se cultiver, et apprendre à être plus intelligents. Lourd programme.
Se cultiver, donc : Jaoui (elle est partout) incarne une femme politique féministe, parachutée dans une ville du Sud. Elle a un mec, mais ne veut pas se marier, n’a pas d’enfants et tout, parce qu’elle est féministe, ce qui de plus l’enlaidit. Voilà pour le débat politique. Bacri est un réalisateur de documentaires, flanqué d’un assistant (Jamel Debbouze), et décide de faire un film sur la femme politique. Il s’emmêle les pinceaux, travaille comme un amateur et s’embrouille avec Jamel. Voilà pour la comédie. En annexe gravite la sœur de la femme politique, pas heureuse en mariage et qui a une liaison avec Bacri ; le fils de Bacri, moyennement compréhensif avec son père, et la mère de Debbouze, la femme de ménage de la maison familiale, une vieille dame algérienne, donc très sympa, parce que bon, le racisme c’est pas bien. D’autres histoires s’entremêlent avec des personnages encore plus annexes, dont on se fiche éperdument aussi vite que le film a commencé.
Parlez-moi de la pluie n’est ni intelligent, ni drôle. De bout en bout, voilà un film bien franchouillard, « de qualité française » pour être poli, constitué de plans-séquences suffisamment longs pour ne pas trop s’embêter au montage, d’acteurs aux rôles stéréotypés (Jaoui fait la gueule, Bacri fait la gueule, et Jamel essaie de ne pas trop faire rire pour montrer qu’il peut être un « vrai acteur »), de discussions pseudo-spirituelles qui finissent toujours par des engueulades ou des « bon, puisque c’est comme ça, je boude » parce qu’on ne sait plus quoi dire. Pour couronner le tout, une bonne partie des scènes sont totalement inutiles : on filme des gens qui parlent à leur portable pour des répliques aussi percutantes que : « oui, bon, d’accord, on fait ça », ou qui marchent dans la campagne sur fond musical (et même si la musique est plutôt bien choisie) sans se rendre compte de la vacuité totale du principe. Le summum du ridicule étant atteint quand le trio vedette se trouve hébergé chez des paysans (les « vrais gens » parce qu’il faut de la diversité sociale, que diable), où le débat tourne à un échange de clichés tellement grossiers qu’à côté, Les Bronzés font du ski passerait presque pour du Michel Foucault.
Avec Parlez-moi de la pluie, Bacri et Jaoui ont atteint le fond. De la banalité des premières réalisations d’Agnès Jaoui, les voici passés à la médiocrité : médiocrité intellectuelle et cinématographique, et surtout mépris des autres (tiens, voici un titre qui aurait bien convenu), qui aboutit à la fois à une forte misanthropie et un égocentrisme démesuré. À l’exemple du scénario, tous les personnages (surtout celui qu’interprète le pauvre Jamel) sont vidés de leur substance, comme épuisés, devenant presque laids à force de s’agiter pour rien. Pourquoi pas, au fond ? Mais alors, pourquoi achever le film sur une note presque rose bonbon, qui annule tout ce qui n’était déjà que très imparfaitement dessiné ? Par pitié, Agnès, Jean-Pierre, parlez-nous de la pluie ou du beau temps, peu importe, mais parlez-nous aussi d’autre chose.