Cinq ans après Au bout du conte et un retour triomphal au théâtre, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri reviennent au grand écran avec cette gentille critique de bobos parisiens qui viennent s’encanailler en pleine campagne le temps d’une crémaillère qui tourne au désastre. Et c’est sans surprise que les « Jabac » – comme les surnommait Alain Resnais – puisent dans les ficelles un semblant éculées de leurs succès passés : un film choral écrit à quatre mains et réalisé par Madame où le duo s’offre les premiers rôles. Pour Bacri celui d’un animateur radio misanthrope et cynique qui a fait son temps ; pour Jaoui, celui de l’ex-épouse, désormais dévouée à la cause d’une Afghane menacée d’expulsion. À leurs côtés, la bande s’est renouvelée et accueille de nouveaux visages multi-générationnels qui, entre quiproquos et punchlines, suivent une partition bien rodée. En maîtresse des lieux, Léa Drucker est l’archétype de la parisienne toujours pendue à son iPhone et qui découvre les joies du grand air à seulement « trente-cinq minutes de la capitale ». Sarah Suco apporte une dose de fantaisie dans son rôle de serveuse plus motivée à faire des selfies avec les stars qu’à s’occuper du buffet. Kevin Azaïs joue les chauffeurs confidents à l’image de Gérard Lanvin, le garde du corps du Goût des autres. Quant à Mister V., YouTuber star, il est la caution jeunesse d’un film où la génération 2.0 est en ligne de mire.
On connaît la chanson
Place publique n’a rien de déshonorant. Mais il faut reconnaître que le film montre très vite les limites du système installé depuis plusieurs décennies par Jaoui et Bacri, que l’on sait meilleurs auteurs que cinéastes. Il est indéniable que le duo est toujours maître dans l’art de la réplique qui fait mouche. Il sait trouver ces petits détails imparables (cet invité à la poignée de fer qui broie les mains de tous ceux qu’il salue) ou provoquer des scènes incongrues (l’imitation de Montand par Bacri alors en pleine déroute sentimentale). Mais il ne suffit pas d’avoir des invités prestigieux et un programme prometteur pour que la fête batte son plein. Dans cette « partie de campagne » aux faux airs de Règle du jeu, la chanson est bien trop connue pour surprendre. Plus d’une fois, on a l’impression d’en écouter une pâle copie, comme ces tubes de la variété que reprennent les personnages au karaoké. La faute sûrement à des personnages à la mélancolie sous-jacente qui peinent à prendre de l’ampleur, vampirisés par des portraits où l’efficacité prime sur la subtilité. La faute, surtout, à une morale qui, sous couvert de cynisme, manque de mordant et frôle la paresse. Bien moins allègre et « ancré » qu’un film comme Le Sens de la fête (dont il partage Bacri et bon nombre de sujets), Place publique ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes sur le milieu médiatique, la lutte des classes, le jeunisme face au vieillissement, ou encore sur notre société hyper connectée où les réseaux sociaux ont la part belle. Car c’est une chose de baptiser son personnage principal Castro. Encore faut-il que fond et forme suivent pour se montrer un tant soit peu révolutionnaire.