Tout compte fait, la dernière réalisation d’Agnès Jaoui, Au bout du conte, coécrite avec son compère historique Jean-Pierre Bacri, ne véhicule plus la sympathie des films qui ont fait leur succès critique et populaire. Les deux auteurs ont vieilli et livrent un ensemble moins pétillant et nettement plus stéréotypé.
Il était une fois… Il était une fois deux talentueux auteurs de cinéma, courtisés par de grands cinéastes. Deux fins scénaristes capables de ciseler des personnages originaux, drôles, profonds. D’écrire des dialogues pertinents et impertinents et de transformer de banales scènes du quotidien en petits miroirs d’existences et relations humaines, des plus nobles au plus viles. Mais il semble bien que les deux auteurs aient pris de l’embonpoint et perdu quelque peu de leur fougue. Malgré quelques passages plaisants, nous ne sommes ainsi pas longs à reconnaître que la grande époque des Cuisine et dépendances (Muyl, 1992), des Un air de famille (Klaspisch, 1996), des On connaît la chanson (Resnais, 1997) et même du Goût des autres (Jaoui, 2000), est bel et bien révolue.
Au bout du conte s’attache à jouer sur tous les stéréotypes du genre littéraire, et plus largement de la croyance, à travers une galerie de personnages formant un film choral, genre que le tandem d’auteurs aime à décliner. On y rencontre, en vrac, une jeune princesse, Laura, (Agathe Bonitzer) croyant aux signes et à l’arrivée du prince charmant, un indécrottable rationaliste bougon, Pierre (Jean-Pierre Bacri), voyant sa vie bouleversée par la prédiction d’une voyante qui devient son obsession, une comédienne ratée, Marianne (Agnès Jaoui), un grand méchant loup parisianiste cocaïnomane (Benjamin Biolay), croyant en peu de choses sauf à sa petite personne…
Reconnaissons tout d’abord au tandem Jaoui-Bacri une capacité à être de véritables « fournisseurs agréés de personnages » plutôt bien construits. Et à la réalisatrice d’avoir osé des effets sonores bien vus et quelques trouvailles comme la transformation du visage de la « marâtre ». Mais, dans leur note d’intention, les auteurs expliquent avoir voulu tordre le cou à la maxime « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » pour livrer une variation sur le couple moderne. Sauf qu’en fait de réflexion sur l’entité couple, on a affaire à un enchaînement de saynètes où les références au conte lourdingues (l’auto-école « Leconte », le « prince Cendrillon » perdant sa « pantoufle de vair », le manteau et le panier du petit Chaperon Rouge, le grand méchant loup nommé Wolf, etc.…) plombent l’ensemble. Jaoui et Bacri semblent tout bonnement avoir perdu ce goût de l’absurde, cette pointe de cynisme, qui faisait qu’ils osaient, autrefois, tout simplement davantage. Côté interprétation, la beauté diaphane d’Agathe Bonitzer ne parvient pas à faire oublier la fausseté de son jeu, au milieu, néanmoins, d’une Jaoui et d’un Bacri très bons, et d’un Biolay étonnant.
Mais, au bout du compte, ces personnages qui paraissaient intéressants à exploiter finissent par apparaître comme « de papier » et non de chair. C’est particulièrement criant dans le cas du personnage de la petite fille d’Agnès Jaoui, réfugiée dans un attirail de foi pour mieux survivre à la séparation parentale : un personnage jamais vraiment regardé, encore moins écouté ou mis en scène, ce qui aurait pu constituer une prise de distance ou une incursion dans le fantasme intéressante, qui finit juste par s’apparenter à de l’indifférence de la part de la réalisatrice.