Autant le dire tout de suite : Pas de vagues relève moins du cinéma que du témoignage social ou sociétal et en tant que tel, il colporte avec lui son lot de rumeurs, d’idées reçues et de stéréotypes sur l’Éducation nationale. Son sujet ? Un jeune prof accusé abusivement de harcèlement par l’une de ses élèves et confronté successivement à la lâcheté de ses collègues, de sa hiérarchie et de l’institution. Sur ces questions sans cesse ramenées dans le débat public et relayées depuis quelques années par divers mouvements au sein du corps enseignant (dont le fameux #pasdevagues, qui donne son titre au film), n’importe quelle enquête de terrain nous en apprendra au moins autant (et sans doute plus) que le film. Si le malaise contemporain du métier de prof pointait aussi le bout de son nez dans Un métier sérieux de Thomas Lilti, on y voyait au moins une communauté d’enseignants, là où Teddy Lussi-Modeste, sans doute en raison de sa propre expérience (il a été prof à Aubervilliers) se focalise sur un portrait unique. Et pas n’importe lequel puisque Julien (François Civil), jeune recrue pleine d’espoir et d’envie, enseigne le français.
Pour incarner ce personnage de prof, François Civil se voit pourvu de lunettes, accessoire aussi caricatural qu’inutile, car pas une seule scène ne montre Julien en train d’ouvrir un livre, ni d’enseigner la langue. À une exception notable, cependant : la toute première séquence, dans laquelle l’objet même du cours – l’astéisme, figure de rhétorique consistant à faire l’éloge d’une personne en faisant mine de la blâmer – est source de malentendu. Pour illustrer son propos, Julien adresse des compliments excessifs à une élève timide et complexée, ce qui suscite chez elle une certaine gêne puis le chahut dans la classe, qui a pris la remarque au premier degré sans saisir la signification de l’exemple. Cette séquence est édifiante à plus d’un titre : elle indique d’emblée que le français n’est plus une langue que le prof partage avec ses élèves, ce que souligne d’ailleurs un autre malentendu où Julien, qui mange un kebab avec une poignée d’élèves lors d’une sortie informelle, dit que sa bouteille d’eau est « fraîche » tout en adressant un regard à l’élève qui déposera ensuite une plainte contre lui. Dans ces deux scènes, le schéma que dessine le film est identique : soit le prof essaie de sensibiliser les collégiens aux subtilités de la rhétorique (l’astéisme) et ses mots, devenus étrangement transparents, se retournent contre lui ; soit il utilise au contraire le langage de façon simple et littérale, mais sa parole est interprétée de façon ambiguë (l’eau fraîche).
Pas de vagues traite ici d’un sujet passionnant et sans doute jamais vraiment abordé au cinéma : le langage du prof, la façon dont il communique avec ses élèves, par le verbal comme le non-verbal. Mais au lieu de déplier ce sujet dans toute l’étendue qu’il mérite, le film plaque sur lui les constats déclinistes des enquêtes éducatives (et des émissions de Pascal Praud), trouvant dans le drame du prof accusé de harcèlement, puis menacé de mort, une réponse facile : si les élèves mettent les mauvais mots (comme « harcèlement ») sur certaines situations, c’est parce qu’ils ne comprennent plus rien. Le film en apporte d’ailleurs la preuve par l’exemple d’un élève illettré auquel Julien réapprend, à ses heures perdues, l’écriture des majuscules.
Vers la fin du film, la jeune recrue, à force d’encaisser les coups, s’est beaucoup endurcie et finit par dire à l’une de ses élèves qu’elle est incapable de faire une phrase simple. D’une autre, qui tient un journal de classe où elle signale que « le prof regarde une élève en se mordant la lèvre comme un acteur de film porno », il pointe les fautes d’orthographe avant de convenir, avec le proviseur, que le journal n’est qu’un « torchon ». Pas de vagues peut donc être vu comme la réponse de notre époque à Entre les murs, film où l’enseignement du français, véritablement filmé dans de longues séquences de cours, paraît presque utopique au regard du « réarmement civique » pour lequel Julien semble militer, à son corps défendant.