Finies les pérégrinations médicales (Hippocrate, Médecin de campagne, Première année) : Thomas Lilti s’attaque cette fois-ci à l’autre parent pauvre de la République, l’Éducation nationale. Il est surtout question dans ce nouveau film de la transmission du savoir : le générique d’Un métier sérieux, composé d’une rafale d’archives télévisuelles, cherche à s’inscrire dans une chronologie et à témoigner de la réalité du métier aujourd’hui. Pour retracer le parcours d’un jeune professeur, il expose tous les paramètres de son sujet, à la manière de cette élève qui, envoyée au tableau par Meriem (Adèle Exarchopoulos) dans la première séquence, a pour consigne d’expliquer « comme si elle était la prof ».
Benjamin (Vincent Lacoste), contractuel inexpérimenté, est le relais idéal pour découvrir les rouages d’un collège « normal ». Comment trouver sa place lorsque cette dernière est remise en cause à la fois par les collégiens et les autres enseignants ? Dans sa classe agitée, il est interrompu par deux collègues déboulant à chaque extrémité de la pièce, dont Pierre (François Cluzet), qui imagine avoir affaire à un surveillant et non à un remplaçant. Face à la menace de l’effacement, l’interaction avec l’autre se place d’emblée sous le signe de l’affirmation de soi. Faut-il, pour devenir professeur, aller parfois contre sa propre nature ? Et jusqu’où ? En prenant ses quartiers, pour des raisons pratiques, dans un logement de fonction du collège, Benjamin prend le risque de ne plus se définir que par son nouveau statut professionnel. Le film évacue cependant très vite cette ambivalence et les questions spatiales qui lui sont liées, puisque le jeune homme, tel un gamin, s’épanouit rapidement auprès de ses nouveaux camarades, des pauses-déjeuners à la cantine aux soirées transformées en réunions.
Le film ne semble pas faire grand cas de la notion de la vocation, problème pourtant majeur pour une institution dont le nombre de candidats est inférieur à celui des postes disponibles. Elle est renvoyée à la conclusion toute faite du personnage de François Cluzet, dans un dialogue qui semble tiré des Petits mouchoirs : « la vocation elle arrive quand t’es balancé dans un collège et que tu découvres que t’es à ta place. » Mais cette découverte par la pratique n’est nullement prise à bras-le-corps par Lilti : jamais les séquences ne prennent le temps de décrire l’élaboration d’une méthode pédagogique, qui se voit réduite à des bidouillages et à des conseils flottants. Ce n’est au passage pas un hasard si les élèves, premiers témoins de l’accomplissement ou de l’échec du travail d’un professeur, sont globalement renvoyés au rang de figurants. Inévitablement, la réflexion autour de la transmission est laissée de côté.
La fiction au prix du réel
« La vie des profs », avec ses joies et ses peines, prend inévitablement le dessus sur l’observation précise du fonctionnement éducatif. Un métier sérieux s’obstine avant tout à composer un patchwork de fictions rebattues. En plus de son quintet central, le film prend soin d’offrir aux autres protagonistes une courte fenêtre de tir. Si bien que la réalité chère à Lilti, selon ses dires au cœur de son travail préparatoire, se transforme en une succession d’anecdotes et un amas de témoignages assez proches de l’idée que se fait quiconque du métier. Les difficultés fondamentales que rencontre l’Éducation nationale (le manque de moyens ou encore les rapports hiérarchiques parfois conflictuels) sont posés là comme les détails d’un état des lieux qui se voudrait exhaustif. Loin d’être naïf vis-à-vis des problèmes de la profession, le film préfère toutefois baigner dans une atmosphère joyeuse qui fleure bon Salut les copains. D’un cours à l’autre, les séquences s’enchaînent grâce à une bonne humeur faisant office de seul liant. Jusqu’à la classe verte de surf, point d’orgue d’une année scolaire en forme de colonie de vacances.
Ces embryons de récits à la bonhomie manifeste, ouvrent par ailleurs, non sans maladresse, sur un versant dramatique plutôt convenu. Le réalisateur semble rabattre les dysfonctionnements de l’Éducation nationale sur ceux de la sphère privée, comme si la crise de l’enseignement allait inévitablement de pair avec des tensions personnelles : séparation, amour impossible, ronron conjugal, garde alternée, conflits parentaux… S’ils luttent pour ne pas ennuyer leurs élèves en évoquant L’Assommoir ou les formes géométriques, ils sont également au front pour maintenir l’équilibre dans leur foyer. Cette double bataille débouche sur l’inévitable explosion, aux airs de La Journée de la jupe, d’une professeure de SVT légèrement engoncée (Louise Bourgoin). Le scénario prend alors soin de lier son déraillement (elle gifle un élève avant de s’enfermer avec sa classe) à sa vie personnelle et à son fils violent. Avec cet épisode, Un métier sérieux conclut sa série de numéros d’acteur et de stéréotypes ; avant d’attaquer, dans son plan final, la rentrée suivante le sourire aux lèvres.