Un homme et une femme se sont aimés dans la misère. Dix ans plus tard, tous deux devenus de célèbres acteurs, ils se retrouvent sur le tournage d’une grosse production. De ce canevas relativement classique, le réalisateur chinois Peter Ho-Sun Chan met en scène une comédie musicale enlevée aux couleurs saturées. L’ambition esthétique est bien là, mais ne parvient pas à sauver Perhaps Love de l’overdose et d’un ennui poli.
En vogue des années 1930 au milieu des années 1960 en Occident, la comédie musicale a depuis connu un long passage à vide. Mis à part quelques exceptions en forme d’hommage (Jeanne et le garçon formidable en 1997, Chicago en 2003), il aura fallu attendre que l’on redécouvre (fort tardivement d’ailleurs) la cinématographie indienne pour que le genre retrouve ses lettres de noblesse et son public en Europe. Du coup, d’autres cinématographies en profitent également pour exporter leurs productions : Taïwan nous a régalé de La Saveur de la pastèque l’année dernière, c’était donc en toute logique que la Chine, spécialiste du « Yellow Plum Opera », nous convierait à son Perhaps Love, tout de même moins rafraîchissant et digeste que le petit bijou de Tsai Ming-Liang. Le réalisateur chinois Peter Ho-Sun Chan n’a pourtant pas lésiné sur les ressors scénaristiques pour faire monter la sauce : au début des années 1990, le jeune Lin Jian Dong galère en attendant de faire carrière dans le cinéma puis rencontre une jeune femme, Sun Na, qui souhaite devenir actrice. Une histoire d’amour commence puis est stoppée net par le départ de la jeune femme arriviste, soucieuse de devenir star par n’importe quel moyen. Dix ans plus tard, les deux anciens amants, tous deux devenus stars de cinéma, se retrouvent têtes d’affiche d’une grosse production chinoise dont le réalisateur n’est autre que le mari de Sun Na.
Outre la tentation – peu convaincante – de dresser un portrait peu élogieux d’un star-system chinois étrangement proche de celui d’Hollywood, l’une des premières qualités de Perhaps Love est d’avoir choisi la mise en abyme et l’artificialité d’un tournage pour mettre à nu la cruauté des relations amoureuses : le réalisateur, peu à peu délaissé par cette femme qu’il aime et qui tient le premier rôle de son film, choisit de remplacer au pied levé l’acteur qui devait interpréter l’amant délaissé. Il tire alors son inspiration du pathétique de sa situation personnelle en n’hésitant pas à mettre en scène sa propre déchéance (prédominance de la tragédie, mise en scène de son propre suicide). Les parties musicales du film dans le film sont d’ailleurs de loin les meilleures : grâce au savoir-faire de chefs opérateurs tels que Peter Pau (Tigre et Dragon) et Christopher Doyle (In the Mood for Love) et de la chorégraphe Farah Khan (La Famille indienne), ces quelques scènes deviennent de somptueux tableaux qui ne reculent jamais devant le risque de surcharge visuelle. Malheureusement, Peter Ho-Sun Chan n’offre pas de contrepoint à cette esthétique outrancière. Toutes les scènes censées dépeindre l’histoire d’amour entre les deux personnages principaux devraient se donner à voir comme le contrechamp de ces scènes musicales que le réalisateur décide de tourner. À l’opposé d’un Lars von Trier qui, dans Dancer in the Dark, surligne l’opposition entre l’univers fantasmé et la réalité sordide, le réalisateur chinois uniformise son film, quitte à rendre cette histoire d’amour supposée nous émouvoir aussi chic et toc que les scènes de comédie musicale.
C’est cette insistance qui finit par rendre Perhaps Love à ce point superficiel et tape-à-l’œil qu’il est quasiment impossible d’avoir la moindre empathie pour des personnages pétris d’égoïsme, d’égocentrisme et de supériorité. Que ce soit dans le montage construit pour beaucoup en flash-back ou la bande-son saturée d’effets grand-guignol, le dernier film de Peter Ho-Sun Chan finit par agacer, en dépit de qualités formelles qui auraient pu rendre le projet plus intéressant s’il avait été envisagé avec davantage d’humilité.