Entre langueur et frénésie, absence de parole et chansons délirantes, sexe et sentiments, La Saveur de la pastèque est l’un de ces films indéfinissables, surprenants, passablement susceptibles de laisser le spectateur perplexe ou admiratif. Que l’on adhère ou non, le nouveau film de Tsai Ming-Liang ne laisse pas indifférent et nul ne peut contester son originalité et sa volonté de recherche formelle. Dans un Taïwan en manque d’eau, deux êtres se rencontrent, se cherchent, et se trouveront à leur manière, avec en fil conducteur la pastèque comme symbole érotique.
Une scène d’ouverture particulièrement audacieuse, faisant intervenir une pastèque dans les jeux érotiques des deux protagonistes ; une scène finale qui s’étire, s’étire et se termine en apothéose sexuelle. Et entre les deux ? Des scènes de sexe dérangeantes, toujours, mais aussi des scènes de comédie musicale réjouissantes, qui illustrent astucieusement la narration, de l’humour – parcimonieux mais irrésistible – touchant parfois au burlesque et deux personnages qui se cherchent tout au long du film. Tsai Ming-Liang reprend ici en les mélangeant ses thèmes fétiches de l’eau (La Rivière, 1997), de la difficulté de communiquer et surtout de se rencontrer (Goodbye, Dragon Inn, 2004).
Le rapport de Tsai Ming-Liang à ses personnages est particulièrement intéressant. Il ne leur fait prononcer aucune parole, sauf lorsqu’ils chantent. Il filme le corps de son personnage principal (Lee Kang-Sheng, qui l’accompagne dans presque tous ses films) sans aucune pudeur, tandis qu’il nous montre à peine l’héroïne, qui se révèle pourtant très belle quand nous avons la chance de mieux la voir. Par ailleurs, si dans son scénario il essaye de les aider en les faisant se rencontrer et se croiser, sa réalisation, sans pour autant les malmener, les ramène à leur condition d’êtres humains. En effet, on ne compte plus les plans, filmés en grand angle, qui regardent patiemment les personnages traverser toute la longueur de l’écran, marchant, parcourant l’espace, traînant derrière eux le poids de la solitude amoureuse.
Sous des abords austères et en dépit de quelques longueurs, La Saveur de la pastèque est en fait un film très poétique, un film sur le désir. Le héros, acteur de films pornographiques, se repaît d’actes sexuels, devant les caméras ou en solitaire, mais le véritable acte d’amour lui est impossible. Lorsque l’occasion se présente, il ne veut pas ou ne peut pas, mais en tout cas ne le réalise pas. Le film oscille sans cesse entre réalité et fantasme, entre des scènes très crues et une pudeur touchante. Sur l’ensemble flottent des moments d’une grande originalité, oniriques ou surréalistes : l’héroïne qui fait mine d’accoucher de sa pastèque, le héros se servant du pied de l’héroïne comme porte-cigarette, des bulles de savon voltigeant mystérieusement et venant s’échouer sur l’héroïne, les nuages présents sur le plafond de la chambre de l’héroïne, dans le titre original et dans la chanson finale.
Le film procure finalement une sensation étrange, sa plus grande beauté résidant dans ses secrets et dans la part de mystère qu’il conserve. Tsai Ming-Liang nous aura choqués, mis mal à l’aise, amusés, attendris. D’un point de vue formel autant que narratif, La Saveur de la pastèque peut finalement être comparé à une histoire d’amour, avec ses doutes (les hésitations des personnages et la caméra parfois distante), ses attentes (les longs plans contemplatifs), ses moments d’exaltation (les scènes de comédie musicale fantaisistes) et son final en forme d’orgasme simultané et profondément troublant, qui laisse, comment dire, un goût amer. Tsai Ming-Liang est-il un artiste ou un pervers ? Probablement les deux à la fois.