1993. Lina débarque du Liban à Paris, fuyant le bruit des bombes et, surtout, un carcan familial qui l’empêche de s’épanouir librement et de trouver sa voie. Sans attaches, avec sa seule audace pour atout, Lina va suivre la trajectoire d’intégration qui s’offre à elle, vivre son récit d’apprentissage au fil de rencontres avec celles qui seront ses amies, ceux qui seront ses amants. Tout l’intérêt de ce récit somme toute assez classique est dans ce jalonnement de l’initiation / intégration de la jeune femme, qui place certes en son cœur le visage de la touchante et impeccable actrice Manal Issa, mais fait sans cesse communiquer cette intériorité avec les figures qu’elle rencontre – auxiliaires, modèles, passeurs – ou la fait se heurter à l’inébranlable froideur de l’administration. La belle idée de Danielle Arbid est d’articuler la trajectoire de sa protagoniste aux rencontres qu’elle fait, aux personnalités, aux modes de vie et aux positions sociales (situations autant que prises de position politique) de ceux qu’elle côtoie tour à tour.
Sans doute la clé du film est-elle donnée dans une scène au Liban. Lina, de retour pour quelques semaines à Beyrouth où son père vit ses derniers jours, discute avec une amie elle aussi passée par l’Hexagone mais qui n’a pas trouvé chez les Français l’accueil et la bienveillance de ses compatriotes. À cela Lina ne répond que d’un silence qui en dit long. Il en dit long sur le point de vue du film, qui est celui de son personnage : une jeune femme réservée dans ses propos, mais qui dans ses actes a soif de liberté, et se donne grâce à ses rencontres les moyens d’y parvenir. La place qu’elle se fait en France, Lina n’attend pas qu’on la lui donne. Avec l’attachement pour la liberté et l’audace qu’on lui connaît, Danielle Arbid s’intéresse avec nostalgie – et, on l’imagine, une certaine inspiration personnelle – au portrait d’une jeune femme qui se saisit de sa liberté avec une obstination et une initiative aussi évidentes qu’elles sont tues, donnant au long-métrage une énergie salutaire.
Et tous les autres
Surtout, la réalisatrice ne fait jamais l’erreur d’isoler l’initiation de Lina dans le microcosme de sa vie. Ce parcours qu’elle suit, c’est aussi celui d’une époque et d’une société en mutations et dont les principales préoccupations (immigration, intégration, racisme) font bien évidemment écho aux nôtres. Jusque dans sa dernière scène, le scénario ne fait pas l’erreur de circonscrire son propos à son personnage, proposant un final réjouissant pour elle autant qu’il est tragique pour d’autres, ouvrant par-là l’anecdote à nos obsessions, avec un retentissement glaçant.
Cette initiation est aussi celle d’une jeune femme au contact de ses premiers amants, dont chacun représente un choix politique ou social (le premier amant bourgeois, le compagnon anarchiste, le militant de classe moyenne dont le père sera la clé du salut de Lina en France). Danielle Arbid mêle subtilement ces deux chemins l’un avec l’autre – l’intime et le social – car sans doute la réalisatrice sait qu’une liberté sociale n’est jamais vraiment accomplie sans aller de pair avec la liberté des corps. De ce portrait optimiste, énergique et réussi, on retient donc autant le récit d’intégration que celui de l’apprentissage amoureux d’une jeune femme.