Passion simple s’ouvre sur un plan de Laetitia Dosch arpentant les rues de Paris dans une ambiance hivernale. Les premiers mots du texte d’Annie Ernaux sont prononcés en off : « À partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme. » Un autre plan montre ensuite l’actrice face caméra, le débit du texte se poursuit, mais à qui parle-t-elle ? Si la réponse est donnée à la fin du film (le destinataire de cette parole est un médecin), toute l’histoire que nous raconte Passion simple est pourtant moins celle d’une thérapie (celle qu’Hélène, le personnage qu’incarne Laetitia Dosch, va entreprendre pour oublier l’amant qu’elle a dans la peau) que d’un étourdissement, d’un égarement, voire d’un ravissement. Ce en quoi le film, dans son pari, vise juste, puisque Passion simple (le livre) s’inscrit dans la grande tradition française des récits d’aliénation amoureuse, qui va des Lettres portugaises de Guilleragues à L’Amant de Duras.
Au début de son récit, Ernaux, se retournant sur ce qu’elle a déjà écrit, note ceci : « J’ai eu l’impression de vivre ma passion sur le mode romanesque, mais je ne sais pas, maintenant, sur quel mode j’écris, si c’est celui du témoignage, voire de la confidence telle qu’elle se pratique dans les journaux féminins, celui du manifeste ou du procès-verbal, ou même du commentaire de texte. » Le film de Danielle Arbid ne sait pas davantage sur quel mode il s’écrit, ni de quoi il parle ; l’hésitation introduite par la séquence d’ouverture se retrouve dans chaque scène érotique. Ce sont, assez curieusement, des scènes où il n’y a pas de présent. Peut-être même pas de présence. Des scènes où le personnage de l’amant, incarné de manière très approximative par le danseur russe Sergueï Poulonine, n’a aucune existence sexuelle. Leur ratage coûte beaucoup au film, car si l’attente d’Hélène est essentiellement d’ordre sexuel (elle ne vit plus, en somme, que pour baiser), aucun plan ne parvient à figurer la façon dont elle est physiquement hantée par son amant. Aucune image n’est à la hauteur d’une phrase telle que : « Je tombais dans un demi-sommeil où j’avais l’impression de dormir dans son corps à lui. » On pourrait, à la limite, ne pas en faire le reproche à Danielle Arbid : la prose d’Annie Ernaux n’est pas cinématographique, il est difficile de découper son récit en « scènes ». Et plus encore de savoir quelle durée il faut donner aux quelques scènes qui le composent, celles-ci étant souvent disposées dans le texte sur le mode de l’inventaire, sans souci chronologique.
Évanescence
On peut cependant reprocher à Arbid de rater aussi toutes les scènes qui ne concernent pas l’amant, notamment celle des séjours d’Hélène à l’étranger. Son passage à Florence, par exemple, ressemble à un bref séjour culturel : le film décline une série de promenades plus ou moins touristiques au bord de l’Arno. Idem pour l’épisode moscovite qui clôt presque le film : portées par The Stranger Song de Leonard Cohen, les errances d’Helen ressemblent à un clip sur le spleen amoureux. À cette liste, déjà longue, de problèmes, il faudrait encore ajouter tous les rôles secondaires : le fils d’Hélène, son ex-mari (interprété par Grégoire Colin), sa meilleure amie qui a des discussions féministes avec elle. Toute cette galerie de personnages semble ne servir qu’à meubler des vides, entre deux visites de l’amant : il y a en eux le même déficit d’incarnation que dans les décors (la maison d’Hélène, tout comme la fac où elle enseigne, n’ont aucune existence concrète).
On serait tenté de dire que la seule réussite du film est celle de Laetitia Dosch. Dans un registre auquel elle nous a habitués – celui du dérèglement, déjà largement exploré dans La Bataille de Solférino et Jeune femme – l’actrice n’invente rien de neuf, mais Arbid dresse d’elle un portrait par endroits assez somptueux. Dans la dernière partie, qui acte la rupture définitive avec l’amant, sa composition rappelle par moments celle d’Anna Thomson dans Sue perdue dans Manhattan. En s’éloignant du texte d’Ernaux, en inventant parfois des séquences qui n’y figurent pas, comme celle d’une discussion entre Hélène et un homme qui s’arrête en voiture sur un boulevard pour lui demander si elle n’a pas perdu son chemin, le film trouve ce qui aurait pu être son mode. Quand vient le moment de la dernière rencontre avec son amant, Hélène dit : « L’homme qui est revenu ce soir-là n’est pas celui que je portais en moi l’année où il était là. » Le spectateur n’aura pourtant pas vu, à l’écran, cette altération dans la présence de l’être tant aimé, mais un drôle de film raté, pas du tout indigne, bien que globalement incapable de réinventer la prose qu’il a voulu transposer.