Pour son premier long-métrage, le Franco-Mexicain Aarón Fernández nous livre une belle œuvre sur la jeunesse pauvre du Mexique, qui cherche par tous les moyens à rejoindre les États-Unis d’Amérique. Malgré des références appuyées à de nombreux auteurs, notamment François Truffaut et ses 400 Coups, Fernández séduit par sa mise en scène brute qui capte avec talent l’ambiance mouvementée des ruelles populaires de Mexico. Il nous réserve surtout de très beaux moments d’accalmie poétique au milieu de ce maelström de violence et de désillusion. Un cinéaste à suivre.
Le cinéma mexicain, qui connaît depuis une dizaine d’années un certain renouveau de ses auteurs avec les Carlos Reygadas, Alfonso Cuarón, Alejandro González Iñárritu ou encore Guillermo del Toro, prouve encore avec Pièces détachées le talent de sa jeune garde. Après le très beau Lake Tahoe de Fernando Eimbcke en juillet, le premier long-métrage du Franco-Mexicain Aarón Fernández est une nouvelle réussite qui affirme la naissance d’un cinéaste digne d’intérêt. Ce jeune réalisateur, nous conte l’histoire d’un espoir qui tourne à la désillusion : Iván, 14 ans, et son oncle Jaime, revendeur en pièces détachés, rêvent d’entrer illégalement aux États-Unis. Ayant besoin d’argent pour payer au plus vite le passeur, Jaime introduit son neveu dans le monde du vol de pièces de voitures. L’adolescent apprend les ficelles du métiers tout en s’amusant, jusqu’au jour où il apprend que son oncle l’a trahi. Gagné par la colère il s’enfuit et se laisse aller à l’errance en compagnie de son ami Efraín.
Ce récit permet à Fernández de livrer un témoignage sur un pays dans lequel la pauvreté et les inégalités sont toujours aussi grandes – bien qu’il fasse partie depuis plusieurs années des États développés – d’où la présence toujours aussi forte du fameux rêve américain dans l’esprit du prolétariat mexicain. Caméra à l’épaule et dans un style oscillant entre fiction et documentaire, le cinéaste décrit avec talent l’ambiance des ruelles pauvres de Mexico, notamment celle du monde du vol des pièces détachées – très développé dans la mégalopole. Si cet univers est visuellement intéressant d’un point de vue cinématographique et sociologique, il permet surtout de métaphoriser et de définir la psychologie d’Iván : le jeune homme démonte des automobiles, symboles ultimes du monde capitaliste, pour obtenir de l’argent et rejoindre la terre promise : les USA. On comprend très vite qu’il arrache et vend des morceaux de son corps et de son esprit – comme de nombreux Mexicains – afin de réaliser un rêve tragiquement consumériste : gagner un maximum de dollars et rouler dans les rues de L.A. au volant d’une grosse décapotable.
Fernández arrive à capter avec intelligence la dureté de cet univers grâce à une caméra aux mouvements brusques et instables. Le film n’est que secousse, agitation et violence, Iván prenant de nombreux coups aussi bien psychologique que physique : c’est par exemple la trahison et les diverses humiliations de son oncle ou encore les combats amicales avec son ami Efraín. Ces enfants, qui sont nés avec comme seul et unique objectif de survivre, ne savent s’exprimer que par l’affrontement corporel et verbal, ce qui est constamment souligné par la mise en scène.
Le cinéma de Fernández, qui n’est qu’à ses prémices, manque encore un peu de personnalité. Pièces détachées rappelle avec insistance quelques réalisateurs et courants cinématographiques tels que les frères Dardenne – notamment Rosetta – qui font preuves d’une même violence des sentiments, signifié par des mouvements de caméra instables et brutes. On pense aussi au cinéma néo-réaliste italien, le cinéaste cherchant à donner une représentation de la réalité des ruelles de Mexico en utilisant des jeunes acteurs amateurs – excellents de naturel. Surtout, on sent l’attachement de l’auteur à François Truffaut et ses 400 Coups : Iván est le pendant mexicain et moderne du jeune Antoine Doinel ; avec son ami Efraín – qui rappelle René, l’ami d’Antoine –, il court les rues et ne cesse d’accumuler les frasques, le tout dans une thématique du passage à l’age adulte et du refus de l’ordre. Iván fuit toute forme d’autorité, que ce soit la loi, son patron ou son oncle. La rencontre avec un trafiquant de pièces détachées violent, qui l’amène à commettre une tentative de vol au dénouement tragique, lui rappelle alors qu’il doit échapper à l’emprise d’un monde adulte et d’une société qui l’oppresse. Le film se termine d’ailleurs par une figure de la ligne droite, qui entraîne le jeune homme vers un rêve qui peut virer au cauchemar.
Malgré ses références appuyées, l’auteur emporte l’adhésion. Il démontre une belle maîtrise de la mise en scène et arrive à trouver un style qui joue sur les cassures de rythme en passant avec aisance d’une rudesse formelle à une poésie des plus inattendues. Ainsi, lors de plans séquences en forme d’accalmie, Fernández nous surprend : il arrête le mouvement et nous fait ressentir admirablement le désespoir et le désœuvrement de ses jeunes protagonistes, magnifiés par la musique de Beethoven. Les sons urbains qui contaminent la bande-son deviennent alors musique classique et le film, tragédie. Toute la tristesse des adolescents, jusqu’alors contenue et quelque peu masquée par le rythme effréné du filmage, est exacerbée par ces scènes en forme de blocs temporels et métaphysiques – ces images sont aussi fortes que pouvaient l’être celles des adolescents d’Elephant filmés sur la lettre à Élise. Il suffit parfois de quelques plans et figures pour rendre un film beau et abouti. Ces séquences correspondent tout à fait à cette idée et donnent assurément envie de suivre ce jeune cinéaste prometteur.