Contrairement à l’épouvantable The Cut de Fatih Akin, le fadissime La Promesse de Terry George a peu de moyens de prétendre être un film « sur » le génocide arménien de 1915. Il ne se privera certes pas de le faire, dans sa logique promotionnelle (aidée par la bataille menée sur sa page IMDb entre internautes pro-Arméniens et pro-Turcs à coups d’abus de notes extrêmes sur le film). Mais, pris avant tout dans une logique de mécanique narrative, il ne fait qu’user de ce contexte historique, non comme son sujet, mais comme une source pour alimenter ses motifs conventionnels de triangle amoureux, de dilemme entre rester et partir, enfin, surtout, d’héroïsme. En cela, il ne change pas la donne du film historique hollywoodien qui, rechignant à traiter de front la grande histoire, la maintient en arrière-plan pour se consacrer aux petites. En l’occurrence, il a opté pour un biais semblable à celui de La Liste de Schindler et d’autres : évoquer un événement traumatisant au travers d’un personnage opposant une figure rassurante vis-à-vis de celui-ci. On pourrait résumer ceci sous une forme d’adage local : le Mal historique ne mérite un film que si l’on y trouve aussi des gens de bien. Et la route du protagoniste de La Promesse, étudiant en médecine arménien de Turquie fuyant les persécution ottomanes en sauvant ce qu’il peut de ses proches, croise opportunément un certain nombre de ces gens de bien, qu’ils soient historiques ou totalement fictifs : le condisciple turc qui lui sauve une fois la mise au péril de sa propre situation, le journaliste américain qui se consacrera à raconter l’horreur (en se laissant piquer sa petite amie par le héros), l’ambassadeur américain Morgenthau qui s’en fera l’écho, le pasteur qui organise l’évacuation des orphelins, la communauté arménienne tenant tête à l’oppresseur armes à la main sur le mont Musa Dagh, la marine française venant les évacuer par la Méditerranée, etc. Ce qui devient évident avec ce défilé d’individus de bonne volonté pour empêcher que la victoire du Mal soit complète, c’est que sans eux, sans la possibilité de les créer pour le récit quand la grande histoire ne les fournit pas, sans la certitude artificiellement entretenue par leur truchement qu’au milieu des pires horreurs l’espoir en l’humanité reste permis, ce film ne se serait probablement pas fait – du moins, pas dans un contexte de production hollywoodienne.
Bien sûr, cela seul ne discrédite pas le film en bloc. Ce qui rend complet l’échec de cette Promesse, c’est son inaptitude à rendre intéressante la fiction conventionnelle qu’il déploie sur la base de ce contexte historique. Piètre cinéaste, Terry George (Hotel Rwanda) ne compte pratiquement que sur la conjonction du « grand sujet » et des situations téléphonées pour créer un spectacle qui donnerait le change et ferait ignorer toutes ses faiblesses. Tout paraît désespérément machinal et dévitalisé, des personnages sans la moindre aspérité à l’enchaînement mécanique des situations (tout problème – perte, emprisonnement, fuite, etc. – ne se créant que dans la certitude, des auteurs et finalement du spectateur, qu’il sera résolu à la séquence suivante), en passant par un héroïsme montré comme allant toujours de soi. Ainsi ne croyait-on plus revoir un triangle amoureux où les auteurs font aussi peu d’effort pour rendre convaincants les désirs présupposés par la convention, préférant se rabattre paresseusement sur des figures aseptisées (comme celle-ci : deux amants s’embrassent, fatalement sous l’œil du troisième qui, sentant confusément que cette bataille est perdue, préférera se rabattre sur son travail humanitaire, lequel se substituera de toute façon à leurs désirs à tous les trois). Même des moments qu’on pourrait considérer comme des fautes de goût (ah, ce premier baiser passionné à la lueur chaude d’une boutique incendiée sous la fenêtre des tourtereaux !) se trouvent parfaitement insipides à l’écran. Faute de pouvoir s’intéresser à quoi que ce soit de censément important, on laisse son attention se déporter sur des appendices tant soit peu intrigants, comme le destin de cet étudiant turc déchiré entre sa soumission au pouvoir et sa conscience de l’iniquité des ordres donnés – micro-oscillations passagères sur l’encéphalogramme plat du récit. Fiction historique nulle, La Promesse vaut surtout comme témoignage actuel de l’impasse où reste coincée une certaine industrie du divertissement commémoratif.