Matt Porterfield suit les codes du cinéma indépendant américain, avec une image soignée, de bons acteurs, et un goût affirmé pour l’improvisation. Mais son mélange entre documentaire (le quotidien désenchanté d’une banlieue de Baltimore) et fiction (la mort d’un adolescent par overdose et ses répercussions sur sa famille ainsi que ses amis) tourne vite à l’exercice de style.
Putty Hill a la force des films indépendants, dotés de cette rage de faire de l’image qui caractérisent les réalisateurs sillonnant les travées de Sundance. Entre 2007 et 2009, Matt Poterfield a écrit un scénario original, Metal Gods, un conte sur le passage à l’état adulte mettant en scène – comme le titre le laisse un peu présager – des jeunes fans de heavy-metal aux abords de la ville de Baltimore. Le tournage était prévu pour l’été 2009, mais le financement est tombé à l’eau.
Rien qui puisse abattre Matt Porterfield. Dans la foulée, il rédige un autre scénario, reprenant la plupart des acteurs de Metal Gods et d’autres rencontrés en route. Enfin, il s’agissait plutôt d’une base de scénario, avec un texte descriptif de cinq pages, avec une seule réplique et quinze lieux dans lesquels voulait tourner celui qui s’est révélé avec le long-métrage Hamilton sorti en 2006 en salles aux États-Unis (un petit exploit là-bas pour ce genre de production d’outsiders).
Laissant libre cours à l’improvisation, dans le cadre bien sûr du canevas préétabli, Matt Porterfield tourne Putty Hill en douze jours, puis le montre en quatre mois. Du cinéma de pur guérilla, comme le définit lui-même le producteur pirate Jordan Mintzer.
À l’aune de ce processus créatif, le résultat est bluffant, mettant à l’amende nombre de longs-métrages bien financés et préparés pendant de longs mois en amont. L’image de Jeremy Saulnier est remarquable, douce et sensible, avec une qualité de cadrage plus que rare. L’interprétation est de haut niveau, avec une Sky Ferreira en tête de gondole, jeune femme dont on reparlera à l’évidence que ce soit sur grand écran ou en bonne place dans les charts (elle est également chanteuse et ses premiers titres font le buzz).
Mais en effaçant la frontière entre documentaire et fiction, Matt Porterfield suscite un certain malaise. Le dispositif est original : de temps à autre, le récit de deuil – de facture on ne peut plus classique – est interrompu par des interviews de forme documentaire. Les acteurs sont interpellés par le réalisateur qui leur posent des questions d’ordre personnel, puis enchaînent sur leur manière d’appréhender la mort de Cory, personnage fictif dont le décès par overdose sert de fil rouge au film. Les acteurs disposent à son sujet d’une simple note biographique et brodent sur le thème.
Le problème est que toute l’émotion générée par les scènes de narration traditionnelle s’efface lors de ses interviews. À chaque question concernant Cory, les comédiens patinent, comme pris en flagrant délit de mensonge. Plus le film passe, plus ces moments deviennent pénibles, avec quelque chose d’indécent à filmer comme véridique la douleur causée par une mort qui n’existe pas.
Le film en vient à se réduire à une sorte de simple exercice d’école de cinéma. Toutes ses qualités formelles s’effacent devant le procédé trop théorique et insincère. S’inventant une béquille, en en faisant la colonne vertébrale de son film, alors qu’il pourrait fort bien s’en passer, Matt Porterfield ne semble pas vraiment croire à son sujet. Dommage car il réussit par ailleurs un joli portrait d’une Amérique blanche déphasée, où les parents ont baissé les bras et leurs enfants s’autodétruisent. Quand Spike le tatoueur raconte comment il a tué dans une rue de Putty Hill le violeur de sa femme enceinte (pour le coup une histoire vraie), le film trouve son cœur palpitant, malheureusement bien trop vite délaissé.