Difficile d’aborder un film comme À bras ouverts (baptisé dans un premier temps Sivouplééé !) avec neutralité : précédé d’une bande-annonce assez consternante compilant les clichés sur les Roms, le nouveau film de Philippe de Chauveron (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?) jouit déjà d’une réputation exécrable de comédie raciste et ouvertement droitière. Rappelons l’argument : Jean-Étienne Fougerole, un intellectuel bourgeois catalogué à gauche, annonce lors d’un débat, sous la pression de son opposant (sorte d’avatar à la fois de Zemmour et du FN), qu’il est prêt à accueillir des Roms dans sa cossue maison de la banlieue parisienne. Le soir-même, une famille de Roms sonne à la porte de la demeure et l’intellectuel, serrant les dents, se voit bien obligé d’héberger les nouveaux arrivants. Si pareil point de départ fait craindre le pire pour la suite, l’affaire s’affirme pourtant plus compliquée, plus nuancée, aussi, et ce pour deux raisons. La première, et c’est une semi-surprise, est que le film joue moins sur une stigmatisation des Roms que sur la confrontation de « camps » (la famille bobo, la famille rom, l’éditorialiste d’extrême-droite, la population d’une petite ville bourgeoise, un Marseillais qui se retrouve à la rue, etc.) tous aussi grossièrement caricaturés les uns que les autres. Chauveron n’évite pas le racisme ; il l’aplanit et le généralise pour suivre un autre chemin que celui de la simple exacerbation d’un folklore raciste dont le film ferait son miel.
Un exemple, un seul : l’arrivée des Roms, qui rejoue un imaginaire directement emprunté à celui du vampire (mythologiquement originaire de la Roumanie) : pour que l’étranger (et, de façon sous-jacente, le potentiel parasite, celui qui peut voler et s’enraciner) entre, il faut d’abord l’inviter. L’analogie est évidement ô combien problématique. Seulement, Fougerole, qui accueille avec une certaine répugnance ces hôtes indésirables, va rapidement tirer profit de leur présence et jouir d’une côte de sympathie renouvelée dans son entourage. Bref, au « vivre ensemble » se substitue un « vampirisons ensemble », en témoigne la présence de ce Marseillais qui, au début du film, insultait les Roms en face de chez lui et se retrouve finalement à non seulement fraterniser avec eux mais aussi à faire semblant d’être l’un des leurs pour échapper à la précarité. Louvoyer, tromper, maintenir les apparences et tâcher de profiter des circonstances : les rapports de force que met en scène le film s’inscrivent moins dans une logique d’opposition entre deux factions que dans la perspective d’une négociation permanente entre les différents partis (le film se termine d’ailleurs – et c’est symptomatique – sur la signature d’un contrat : le mariage entre le garçon de la famille Fougerole et la jeune fille de la famille rom). Quelle est ta part ? Quelle est la mienne ? Comment pouvons-nous travailler ensemble pour tirer parti de la situation, sans perdre de vue la perspective d’un gain personnel ? La violence se loge finalement moins dans le racisme et la caricature que dans le portrait d’une communauté où l’hypocrisie est la seule valeur unanimement partagée (à l’exception des deux jeunots, forcément encore naïfs, qui tombent amoureux).
Cabotinage
Deuxième raison de ne pas complètement rejeter le film en bloc : À bras ouverts a beau être idéologiquement désagréable, il n’en demeure pas moins une comédie plutôt honnête dans le champ assez sinistré de la comédie française. Délaissant le régime de la pure punchline qui faisait de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? un récit assez filandreux avare en bonnes situations comiques, À bras ouverts lorgne plutôt du côté non pas de The Party (malgré les clins d’œil assumés), mais plutôt de ses équivalents dans la comédie française populaire (disons : les films de Louis de Funès assumant l’héritage du boulevard, comme Oscar ou Jo). Plus resserré, centré presque exclusivement sur deux terrains de jeu concomitants mais opposés (le jardin d’un côté, la maison de l’autre), le film donne surtout le champ libre à des performances d’acteurs nécessairement outrancières : Clavier en parodie presque assumée de BHL, Elsa Zylberstein en grande bourgeoise influencée par Ai Weiwei (comme souvent dans les comédies populaires françaises, l’art contemporain est ici une inépuisable source de moqueries), et Ary Abittan en patriarche rom qui compile presque à lui seul les clichés que charrie le film. Force est de reconnaître que, sur ce terrain, le film brille de l’abattage de ses interprètes et d’un minimum syndical au niveau du rythme et de l’enchaînement des situations. Pas suffisant pour que soudainement la violence du tableau soit rabotée, ou que le film s’affirme comme une réussite, mais assez, en tout cas, pour ne pas le vouer aux gémonies.