Remake du célèbre film de Paul Verhoeven, ce RoboCop version 2014, intriguant à défaut d’être réussi, navigue entre les eaux du nanar rétro et du prototype visuel inachevé.
Double-remake
Après avoir frôlé la mort, l’agent Alex Murphy est intégré au programme RoboCop, expérience destinée à façonner le policier parfait, mi-homme mi-machine ultra sophistiquée. À quelques détails scénaristiques près, le film de José Padilha part donc sur les mêmes fondations que la version signée Paul Verhoeven. Superhéros hybride, RoboCop est un monstre de Frankenstein d’acier dont la part humaine menace d’être engloutie par l’enveloppe métallique qui l’abrite, créée – et contrôlée – par les membres d’une filiale capitaliste sans scrupules.
La singularité de ce remake ne tient pas tant aux variations narratives produites, anecdotiques (le rôle de la famille, les différents adversaires du héros), qu’à la filiation étrange entretenue avec le cinéma de Verhoeven. RoboCop revisite certes l’original de 1988, mais à la lumière des films suivants du cinéaste hollandais, notamment Starship Troopers. La conscience post-moderne du film (références au design, reprises des « punchlines » du héros, et même de la musique d’origine), pas exempte de lourdeur, débouche finalement sur une piste plutôt singulière : implicitement, le postulat du film est que le Robocop de Verhoeven constitue quelque part un brouillon à Starship Troopers, dans l’affirmation d’une forme filmique ouvertement bâtarde, où l’écran fonctionne comme une interface brassant une multitude de régimes d’images. Refaire, littéralement, RoboCop aujourd’hui revient donc à reprendre la racine du film, la réactualiser au regard des avancées technologiques de notre époque, et la relier filmiquement à ce qui l’a suivi (le dispositif de Verhoeven sur les images médiatiques, beaucoup plus abouti lors de la sortie, dix ans plus tard, de Starship Troopers).
Journaux télévisés, caméras de surveillances, radars, écrans de contrôles, hologrammes, graphiques, etc : RoboCop, millésime 2014, est donc un film d’encarts, de bandeaux, de fragments greffés. En somme un film-tablette – on en voit d’ailleurs tout le temps à l’écran –, où les images sont incrustées frénétiquement dans le cadre.
I‑Robot
Si la multiplication des sources d’images est un procédé narratif désormais répandu dans le champ du blockbuster moderne, RoboCop pousse la logique assez loin, sans toutefois aller jusqu’au bout de sa proposition : la veine techno-foutraque du film finit hélas par plier sous le poids d’un scénario aseptisé, où la promesse d’un film polymorphe laisse place à une banale allégorie du fascisme moderne, très loin de la puissance critique des films de Verhoeven.
Il y avait pourtant là le potentiel à un blockbuster brillant de bizarrerie dans ce film-interface dont le héros tient plus du smartphone que du vigilante classique – les restes organiques de l’agent Murphy comme batterie (dévoilés dans une scène assez stupéfiante), accompagné d’applications, d’accessoires, et même d’une coque « customisable » (l’amure donc la peinture est changée en cours de film). Tout l’étalage de cette machinerie curieuse, qui frôle en permanence avec le nanar, peine toutefois à pleinement s’incarner, la faute à une mise en scène sur courant alternatif et un interprète principal incapable d’assumer la part d’étrangeté du projet. Coincé entre des poids lourds expérimentés, au mieux cabotins (Jackson, Oldman), au pire décrépits (Michael Keaton), le jeune Joel Kinnaman (repéré dans la série The Killing) traverse le film tel un fantôme. Il aurait fallu un acteur à la beauté difforme, un Schwarzenegger ou un Peter Weller de la grande époque, pour hybrider ce corps et insuffler vie à la boîte de métal. Dépouillé de chair, le film ne se révèle finalement qu’un enchevêtrement de rouages tournant à vide.