ll y avait tout à craindre de la reprise d’un récit populaire passée sous la moulinette esthétique de Guy Ritchie. Tout commence d’ailleurs de manière précipitée, comme d’habitude dans son cinéma ; la narration est clairsemée, fragmentée, et le récit lancé à toute allure se suspend fréquemment pour ramasser ce qui s’est perdu en cours de route. La séquence où Arthur, devenu adulte, doit s’y reprendre à plusieurs fois pour raconter une histoire car il en oublie des détails importants, apparaît dès lors comme le clin d’œil amusant d’un cinéaste conscient de ses manies esthétiques.
Toutefois, l’illisibilité du début trouve aussi sa source dans la manière dont le récit adopte le point de vue d’un souvenir d’enfance fragmentaire d’Arthur. Astucieusement, le scénario repose sur une structure en miroir, qui rejoue en son début et en sa fin la même scène : l’insurrection du château dans l’incipit, liée à la prise du trône par Vortigern, puis l’insurrection finale, menée par Arthur. Entre-temps, ce dernier a comblé les lacunes de sa mémoire grâce au pouvoir d’Excalibur, et conduit cette seconde insurrection avec le souvenir de la barbarie du roi.
Soulèvement politique
Longuement, le film présente les étapes nécessaires d’un putsch royaliste : battre le roi n’est pas suffisant, il faut aussi gagner la confiance du peuple et multiplier les actes symboliques de résistance. Dans un étrange mouvement, Le Roi Arthur glisse de l’épopée épique au récit d’un soulèvement politique, passant ainsi d’une logique individualiste à une logique de groupe (à la manière de Rogue One). Le tyran est alors vaincu, Arthur couronné, et dans la même précipitation qui a animé tout le film, Ritchie expédie en quelques séquences la mise en scène de l’ensemble des symboles légendaires associés au récit arthurien : la table ronde, le rituel chevaleresque à l’épée, etc… pour finir sur un ultime symbole, celui du bras levé d’Arthur, brandissant Excalibur, face à la foule rugissante. Seule l’épée est visible, ainsi que le peuple, et tout le reste est hors champ.
C’est sur une image surchargée de sens que se clôt cette narration au rythme endiablé. Elle confirme que sous ces apparats spectaculaires, nous ne venons pas d’assister à la sacralisation d’un homme légendaire, Arthur, mais à la naissance de sa fonction royale. Arthur et ses comparses mythiques – Perceval, Bedivere et compagnie, à peine nommés – se sont tous effacés devant la mécanique infernale du récit et l’esthétique surchargée de Guy Ritchie ; sous cette abondance d’effets tape-à-l’œil, le cinéaste a tout de même osé sacrifier la figure au profit de la cause. Après tout, n’est pas roi qui veut, et Guy Ritchie a su mettre à profit son style narratif éclaté pour donner à comprendre les rouages difficiles d’une prise de pouvoir. C’est tout ce qu’incarne Excalibur, ultime figure du film, qui réduit, par le hors-champ qu’elle génère, les héros à leurs actions. C’est donc logiquement qu’Arthur s’efface au profit de ce plan vertigineux d’une foule vouant un culte à une épée, acclamant non pas l’être fait de chair, mais sa fonction royale immortelle. Si Guy Ritchie est définitivement l’une des figures de proue esthétique de son époque, alors ce film peut aussi s’interpréter comme son auto-couronnement, une célébration de sa maîtrise de la machine hollywoodienne. Cette lucidité, le réalisateur ne l’avait peut être jamais autant assumée et magnifiée.