Les cinéphiles sont-ils dingues ? Le documentaire de Rodney Ascher sur les plus folles théories d’admirateurs de Shining, certaines gentiment farfelues, d’autres carrément inquiétantes, scrute avec un amusement certain les limites de la cinéphilie et de la paranoïa. Dommage que le film soit si pauvre formellement.
Les films de Stanley Kubrick ont toujours inspiré les interprétations les plus amusantes, de 2001, l’Odyssée de l’espace à Eyes Wide Shut. Mais à en croire le documentaire de Rodney Ascher, Room 237, c’est Shining, l’adaptation du roman de Stephen King, qui remporte la Palme. La chambre 237, dans le film, est la pièce où le personnage joué par Jack Nicholson se laisse aller à ses fantasmes en compagnie de certains fantômes de l’hôtel aux courbes avantageuses (en apparence). Le film, qui porte le même nom, est à ce titre un même déversoir des fantaisies les plus alambiquées pour un certain nombre de cinéphiles plus proches pour certains du séjour en HP que d’une salle de cinéma.
Obsessions
S’appuyant sur de nombreuses images d’archives, pour la plupart issues du film de Kubrick lui-même, Ascher laisse ses interviewés expliquer leurs théories sur les nombreux secrets que le film porte en son sein. Au programme : génocide indien, Seconde Guerre mondiale et idéologie nazie, métaphore visuelle appuyée de l’enfermement mental de ses personnages (plus plausible) ou encore – la meilleure – message codé de Kubrick lui permettant d’expier une extraordinaire commande du gouvernement américain : rien moins que la mise en scène, en mode totalement fake, de l’atterrissage de la fusée Apollo 11 et des pas d’Armstrong sur une Lune qui n’en était pas une.
Il faut entendre et voir, images à l’appui, le pauvre gars s’échiner à démontrer que Stanley Kubrick, fortement travaillé par la culpabilité d’avoir participé à cette supposée mascarade que furent les images d’Armstrong bondissant sur la lune, aurait adapté Shining à l’écran dans le seul but de laisser une trace, sans pour autant l’énoncer clairement, de sa participation à cette gigantesque arnaque à l’échelle planétaire. On n’y croit pas une seconde, mais force est de reconnaître que le bougre s’est donné du mal. Mais le film – et les théories qu’il présente – serait nettement plus efficace si Ascher s’était donné la peine de réfléchir un tant soit peu à la façon de filmer cette paranoïa cinéphile. Las, il enchaîne les images d’archives sans se poser un tant soit peu des questions de représentation, et laisse le soin aux voix-off (pour certaines franchement flippantes, comme celle de ce type qui ponctue chaque phrase d’un ricanement un peu sinistre) de faire le job. Pas sûr qu’un sens de la mise en scène aussi inexistant aurait fait rigoler Kubrick.