Malgré ses limites, le premier Sans un bruit reste l’une des propositions les plus stimulantes du cinéma fantastique américain de la décennie écoulée. L’argument d’un silence absolu comme seule chance de survie face à des monstres à l’ouïe surdéveloppée ouvrait sur quelques belles scènes de suspense, notamment celles se nourrissant de l’impératif de devoir retenir un cri et donc de rester maître de soi en toutes circonstances. Si le premier film s’éloignait dans sa seconde partie de la radicalité de son parti-pris, on en retient tout de même cette peur du mouvement conduisant les personnages à penser qu’une sédentarité silencieuse les tient à l’abri. En laissant derrière eux le décor de la ferme à l’ouverture de cette suite, la famille perd ainsi ce qui la maintenait unie (un foyer partagé), de la même manière que la franchise abandonne le cadre du huis clos.
La route
Fait assez rare pour le noter, Sans un bruit 2 se refuse à toute surenchère par rapport à son prédécesseur. Aucune nouvelle créature ne fait son apparition, les monstres déjà connus ne se révèlent ni plus puissants ni foncièrement plus nombreux, et les personnages supplémentaires se comptent sur les doigts de la main. Le jeu sur le hors-champ reste cette fois encore au cœur du film, l’argument de cet épisode consistant essentiellement à pousser les personnages vers un extérieur hostile, non pour montrer d’énièmes décors post-apocalyptiques mais plutôt dans l’idée d’éprouver une sensation d’inconnu. Fini donc le foyer pensé comme l’ultime rempart à l’effondrement du monde : le système ayant volé en éclat, il s’agit d’entamer une migration et de trouver sa destination en cours de route.
Dans cette optique de mettre en scène une improvisation de la survie, deux moments sont mis en miroir : l’avant, soit les toutes premières minutes de l’invasion des créatures, et l’après, c’est à dire le départ du foyer (le précédent film se concentrant à l’inverse sur la période intermédiaire marquée par la résistance à l’intérieur de la maison). Par le regard sur la catastrophe qu’elle propose, la séquence située dans la première période s’inspire de La Guerre des Mondes de Steven Spielberg : on y retrouve le point de vue à hauteur d’homme qui domine le cinéma catastrophe post-11 septembre, mais aussi cette focalisation sur la question de la survie de la cellule familiale, au-delà de celle des individus. C’est toutefois avec cette inévitable comparaison que le bât blesse : alors qu’il traite de sujets sensiblement identiques, Sans un bruit 2 pêche par le manque de consistance de ses protagonistes, et plus particulièrement les personnages secondaires, purement fonctionnels. La superficialité de leur caractérisation en est presque surprenante, à mille lieues de l’émotion que peut provoquer le gros plan sur le visage d’un Tom Cruise impuissant face à la détresse de sa fille, tandis qu’il admet ne connaître aucune berceuse à lui chanter.
Mouvement collectif
Sans un bruit 2 parvient en revanche à convaincre par la mise en forme de la trajectoire des personnages. Le film progresse essentiellement par une succession de montages alternés (la famille se sépare dès le début du film), sans que Krasinski ne cède à la tentation de délayer son intrigue par l’éparpillement des points de vue. D’une certaine manière, il les fait même fusionner : il n’est pas tant question de cheminement géographique que de mise en mouvement du collectif. Les péripéties viennent figurer cette difficile quête commune qui s’affranchit de la séparation des individus, tel le danger d’une mort par asphyxie guettant simultanément plusieurs personnages situés à plusieurs kilomètres de distance les uns des autres. De cette manière, chaque scène prend la forme de rouages qui, mis bout-à-bout, trouvent leur place dans une mécanique particulièrement bien rodée.
Est-ce à dire que Sans Un bruit 2 donne une sensation d’automatisme, alors même que cette logique de montage vise à émouvoir ? On retrouve dans cette impression globale le travers du premier film, consistant à ne pas trancher entre des partis pris très marqués (telle cette idée de proposer les différents « points de vue » auditifs) et une volonté constante de bannir toute forme de rugosité. Il n’empêche que l’alternance entre langue des signes, chuchotements et cris étouffés, tout autant que l’impressionnant travail de montage sonore entre musique et sons in, continue d’alimenter une indéniable tension. En cela, le nouveau film de Krasinski approfondit une forme de spectaculaire assez singulière, et surpasse même par moments sur ce point le premier volet.