Septième et (prétendument) ultime volet de la très lucrative et très cheap franchise, Saw 3D (vu en 2D) est une daube que ses quelques percées parodiques ne parviennent pas à sauver, mais dont la faiblesse ne mine pas trop le chiffre d’affaires. Il serait bien vain et niais de s’en offusquer, après tout, mais on reste en droit de s’en désintéresser et d’espérer qu’on n’y reviendra plus. Critique de Saw, chapitre final ?
Jigsaw est mort depuis Saw III, apogée en terme de recettes et d’hémoglobine, mais tel les Jackson, Elvis ou Cloclo, il continue de générer un florissant business par-delà l’autopsie – et de pointer via divers artifices narratifs capillotractés sa face de carême dans l’interminable litanie de suites de la saga, à la remorque du premier épisode, inégalé sans être inégalable. Cette année, puisqu’à chaque Halloween c’est la même rengaine, voici donc Saw 3D (effet d’aubaine qui déçoit au passage les esprits farceurs qui attendaient Saw VII), soit une nouvelle occasion de constater combien le machiavélisme psychotique et bricolo-déglingo de John Kramer ou (surtout) de ses épigones est devenu au fil du temps rasoir… Le plus déconcertant, ce n’est plus de voir la torture érigée en divertissement charrier des foules ; c’est de relever à quel point tout cela ronronne désormais, de sentir cette accoutumance – au moins pour ceux qui sont habitués à voir des corps réduits en charpie. Si cette fois-ci (nouveauté) l’objet a la courtoisie de se vouloir parodique et si on s’amuse vite fait d’un ou deux dispositifs tordus (vertu du « gorigolo »), ou lorsque l’humour se fait involontaire, on s’y emmerde fondamentalement tant c’est prévisible, tout en pressentant l’attente confuse de quelqu’un qui la rompe, cette accoutumance, et invente pire.
Le machin égrène donc comme toujours sa débauche de pièges/tests/scènes de torture, en guise de scénario, avant de nous balancer le twist final (pfuittt), lesté par un casting où des actrices qu’on croirait évadées de dix ans de porno underground (nettement moins sympathiques que dans le jouissif Piranha 3D) donnent la réplique à un sous-Christian Bale (Chad Donella) et à quelques autres tâcherons de la profession, le tout sur une image à se planter des tournevis dans les yeux et une bande-son qui filerait le mal de mer au passager d’un ascenseur. À ce degré d’indigence niveau réalisation/narration/direction, on est définitivement passé du torture porn au gonzo. On peut toujours vaguement sourire du côté « fort boyard gore » de ces rédemptions à la scie sauteuse, thérapies de choc qui feraient passer le Punisher pour un homéopathe (catharsis garantie). Mais bon Dieu, qu’ils sont moralistes et puritains quand même ces tarés-là, qui en seraient presque à vous faire payer façon Torquemada le fait de s’être garé sur une place handicapé ; ainsi la pauvresse qui a eu le malheur de se la jouer femme libérée se fait-elle tronçonner par ses deux surfeurs décérébrés d’amants dès la scène d’ouverture – on conçoit effectivement qu’ils envisagent la vie sous un nouveau jour, depuis.
« Saw – Chapitre final » (pour ce que ça vaut, un chapitre final pouvant être suivi d’un épilogue, lui-même suivi d’une postface, avant les annexes, etc.) se doit de boucler la boucle, alors le film lorgne sur sa généalogie et plus particulièrement sur le divin ancêtre à la progéniture dévoyée, pour nous ressortir du placard Cary Elwes – on n’est peut-être pas sorti de l’auberge. On se dit d’abord qu’on pourrait vous reprendre un peu le fil sacrément emmêlé des événements (puisque la série se veut cohérente), commenter les nouveaux joujoux, les retours, révélations et autres luttes sanguinaires et abracadabrantesques entre émules de Jigsaw, voire (ô céleste ambition) poursuivre l’embryon de réflexion sur les médias qui traverse la saga. Et puis vient le sentiment que l’honnêteté intellectuelle ne va peut-être pas jusqu’à rendre justice à ce qui est objectivement un épouvantable nanar dont le but quasi explicite est de nous faire cracher trois quatre euros de plus que les fois précédentes pour la 3D, la prod’ s’étant comme de coutume déjà remboursée sur le premier week-end US.
Même pas de quoi vouloir supplicier le film, en fin de compte. Si on devait se récrier naïvement chaque fois que l’industrie nous fait les poches… Ce qu’on peut observer, en revanche, c’est qu’après avoir tant et si pesamment glosé sur la dérive inquiétante que représente ce sous-genre horrifique, la seule chose (ça, c’est peut-être plus inquiétant) qui semble perpétuer une docte indignation face à l’entreprise est bel et bien son aspect « capitalistique », pourtant d’une banalité effarante. Si Saw est un faramineux filon commercial atrocement mal foutu quand on en vient à parler cinéma, son succès inégalé, au moins autant que la question de sa « dégénération », lui ménage une place dans l’histoire du genre, voire du septième art. Navrant peut-être, mais finalement, Saw (premier mis à part, forcément), c’est surtout une très négligeable péripétie dans une année de cinéphile.