Oui, je sais, c’était facile. Saw 6 – une véritable boucherie. Mais, comprenez-moi, il fallait rendre honneur au courage insigne des distributeurs qui ont affronté avec bravoure le ridicule de leur titre, à la différence de ceux, anciens déjà, des Dents de la mer II, qui avaient préféré un Les Dents de la mer, deuxième partie. Mais quand on travaille autour d’une franchise comme Saw – l’une des plus rentables de l’histoire du 7ème art, semble-t-il – on n’a peur de rien. Ni des titres idiots, ni de donner dans la surenchère gore du torture-porn, ni de tisser autour de son idée-prétexte un semblant de scénario d’une abyssale prétention. De rien, je vous dis !
Torture-porn – mais qu’est-ce que c’est donc que ce terme là ? Appelons le dictionnaire à la rescousse – pornographie : « représentation (sous forme d’écrits, de dessins, de peintures, de photos, de spectacles, etc.) de choses obscènes, sans préoccupation artistique et avec l’intention délibérée de provoquer l’excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées.» Merci maître C. Le tout, donc, avec une pincée de torture. C’est pourtant simple : il suffit d’aligner les scènes de tortures barbares, repoussant les limites de la représentation, pour susciter l’excitation du public, sans la moindre prétention autre, et notamment artistique.
Mais non – pour les créateurs des Saw, il en faut plus. Faisant écho aux préoccupations justicières du dernier Jeunet, la franchise Saw nous explique que Jigsaw, son psychopathe, est une sorte de démiurge pervers, décidé à instruire ses contemporains de leurs erreurs en les soumettant à des jeux barbares où il importe que chacun y mette du sien, souvent physiquement parlant. Bon, certes, l’individu est décédé, son aide surprise sortie des suites du film également, mais il reste le troisième légataire, l’agent Hoffman, qui continue la charmante tradition des jeux meurtriers de Jigsaw pour la beauté du geste.
Parlons-en, de plaisirs pervers. Qui a grandi dans les années 1980, avec Freddy Krueger, Jason Voorhees, Michael Myers, et tous leurs cousin bien moins prestigieux, savent le plaisir qui accompagne la sortie d’une suite n : comment vont-ils ressortir le tueur de la tombe, que vont-ils lui faire subir… ? Les exigences commerciales qui veulent continuer à tout prix les sagas fantastiques financièrement juteuses génèrent chez les scénaristes des trésors d’invention sans fin – dans Saw, par contre, c’est plus simple. Comment faire reprendre la sauce de cette histoire où le collège des méchants, pas surnaturel pour un sou, est déjà passablement décimé ? Simple : un nouveau personnage. Une bonne recette, qui présente l’avantage de pouvoir être réutilisée à l’envi jusque pour un futur hypothétique Saw 32.
Tout Saw 6 est à l’avenant : la franchise est établie, le concept est là, il suffit de poser un semblant de vernis scénaristique pour faire repartir le moteur. Car, soyons francs, il n’y a guère plus d’intérêt à un Saw, que de voir s’aligner des horreurs barbares à l’écran – Saw, c’est Destination finale, en moins cartoon. Le reste, on s’en moque un brin. Et là, surprise, désagréable : même si le film démarre sur les chapeaux de roues, directement dans une séquence de torture, l’épouvante évoquée par ces séquences est plus que discutable. Premièrement, car les effets spéciaux manquent singulièrement de pouvoir de conviction, mais surtout à cause d’une tendance au montage cut qui tente, bien en vain, de suppléer à l’absence de terreur ressentie par le spectateur.
Pour l’équipe de Saw 6, il aurait suffit d’aligner des scènes de torture vaguement justifiées narrativement, de filmer tout ça avec un montage hystérique pour masquer l’absence de moyens (budgets qui expliquent le potentiel commercial de la saga), et d’y apposer un vernis scénaristique moraliste. Erreur. Les amateurs de fantastique et d’horreur – deux genres qui ont l’avantage de ne pas avoir à marteler leur qualité subversive – le savent depuis longtemps : il est bien plus efficace de jouer sur la jubilation de l’auditoire que sur son sens éthique. Ainsi, Saw 6 va nous livrer deux scènes d’un haut ridicule où le « joueur » va devoir décider qui meurt ou non, de deux de ses collègues, puis de six. Grand dilemme moral, évidemment. Sauf qu’avec un brin d’humour, Kevin Greutert aurait pu faire cartonner au bureaucrate qui décide de vie et de mort sur ses collègues non pas certains d’entre, mais tous ! Après tout, ce sera bon pour l’avancement.
Mais non, l’humour c’est mal, la dérision, qui eût fait de la série Saw et de Saw 6 en particulier, un probable petit bijou d’humour noir, ce n’est pas souhaitable. Hypocritement, la saga Saw persiste donc à se cacher derrière le paravent de la morale vengeresse au lieu d’assumer sa raison d’être commerciale première : on aime voir des personnages mourir de la façon la plus humiliante possible, soumis à une imagination diabolique, et c’est tout. Les équipes des slashers l’ont parfaitement compris, qui ont réussi, avec plus ou moins de bonheur, à faire de leurs films des dates importantes du cinéma de genre. Une consécration qui échappera certainement à ce Saw roublard et non assumé.