La ménagerie des animaux dangereux retrouve une espèce disparue des écrans depuis une trentaine d’années : le piranha. Joe Dante et James Cameron en personne s’étaient fait les dents avec deux métrages sans prétention, dans la droite ligne de la « Jawsploitation ». Ce petit poisson qui a les dents longues crève l’écran en trois dimensions pour venir déchiqueter un des plus grands rassemblements de bimbos et de teenagers décérébrés jamais vus à l’écran. Alexandre Aja dirige son équipe de poissons avec une grandiloquence hilarante et un art consommé de l’outrance gore.
Spring breakfast
Le « spring break », moment attendu des étudiants américains qui se donnent le pari en quelques jours de vacances de boire le plus de litres d’alcool possible tout en faisant le plus grand nombre de conquêtes ! Nous voici au bord d’un lac où bouillonnent les hormones, avant que le sang ne se mette lui aussi à sérieusement bouillonner. Concours de t‑shirts mouillés, tirades lyriques sur les poitrines proéminentes et les fesses rebondies, concours du string le plus invisible, tournage de porno soft lesbien, shots de tequila léchés sur le ventre ferme d’actrices de X, ambiance fête à Ibiza avec des clones de David Guetta au beau milieu d’un groupe de personnes dont le QI global est probablement égal au nombre de piranhas présents à l’écran. Question existentielle : voit-on plus de piranhas que de seins et de fesses ? La réponse n’est pas évidente, et aguichera l’œil coquin du spectateur ! Le réalisateur en rajoute, les acteurs ne jouent pas, ou surjouent, mais dans un joyeux mélange de références : on navigue de Jaws (quelle irrévérence délicieuse, le scientifique du chef‑d’œuvre de Spielberg se fait dévorer au début du film, à quand le cross-over ?), et La Mort au large à Piranhas bien sûr, en passant par des citations d’Alien et un style à la Gremlins, hommage à Joe Dante ! Il est conseillé de laisser son cerveau au repos devant ce joyeux désordre et ce total abandon de toute retenue. Aja organise un racolage parfaitement assumé, flirtant sur le mode du slasher, où de jeunes gens se font trucider entre deux fornications ou séances de strip-tease fauchées. Le scénario est d’une simplicité réductrice nécessaire : un séisme fait remonter à la surface des piranhas préhistoriques. Voilà. Le scientifique du film tente d’expliquer leur nature en composant un rôle qui mélange le Doc de Retour vers le futur pour le physique et un Professeur Tournesol paranoïaque et asthmatique pour l’interprétation. Cette scène « explicative » met en évidence le second degré ravageur d’Aja : le docte professeur dispose d’un fossile des piranhas en question déjà bien en évidence ce qui évite de perdre du temps pour montrer le personnage en train de fouiller dans sa réserve ! Mais on ne doute plus une seconde de ce second degré lorsque l’on voit deux piranhas discuter le bout de gras autour d’un pénis sectionné avant que l’un d’eux ne le recrache en rotant !
Viande ou poisson ?
Au menu de la violence, le service est de qualité. Rarement depuis les années 1980/90 et les productions bis ou underground de l’époque (quelques exemples dans le désordre : Zombie Holocaust, Virus, Le Jour des morts-vivants, Braindead, The Toxic Avenger, Re-Animator) on aura vu une telle débauche sanguinolente : les mutilations, éviscérations, amputations, énucléations, explosions de crânes, scalps, écorchures, émasculations s’enchaînent avec frénésie dans une scène de tuerie de masse jamais vue à l’écran dans un film de genre avec des animaux tueurs. Au beau milieu du film, on se croirait dans une production de Troma Entertainment ! Les amateurs de gore auront plaisir à déceler des mutilations sorties de Virus cannibale, alliées à l’érotisme bon marché d’un Cannibal Holocaust et autres productions italiennes de l’époque. Aja respecte ses modèles et rend ainsi un vibrant hommage à des maîtres du gore tels que Lucio Fulci, Jesus Franco, Joe D’Amato, George A. Romero, Stuart Gordon, ou encore Peter Jackson. Le réalisateur filme avec brio les scènes de panique, qui provoquent en elles-mêmes un massacre jouissif lorsqu’un des teenagers circule en hors-bord au milieu de la foule, ce qui amène son lot de tuerie graphique et gratuite, un peu dans la lignée des meilleurs moments de la saga Destination finale. Qui plus est, Aja parvient à mettre de l’ordre dans ce débordement, et la mise en scène est un modèle du genre : pas de gestes de caméra saccadés ou psychédéliques, tellement dans l’air du temps, mais bien au contraire une succession de saynètes horrifiques en plan fixe, où la caméra prend le temps d’épouser la plastique de la mise à mort… et des actrices et acteurs sacrifiés !
Alexandre Aja se montrait déjà impressionnant en revisitant une certaine colline il y a quelque temps. Avec Piranha 3D, il pousse le voyeurisme du spectateur jusque dans ses retranchements les plus primaires, le sexe et la violence, tout en prenant plaisir à filmer une fête du gore. Ce n’est pas un énième torture-porn vomitif qu’aurait réalisé Aja, mais bien une authentique réussite. Merci Alexandre Aja d’avoir ressuscité le foutoir jubilatoire de l’âge d’or du film de genre, et ce jusqu’au dernier plan !