Voici un film de Bollywood qui va en surprendre plus d’un… De la passion, quelques chansons, une poignée de stars en rôles secondaires (les héros de Devdas, Shahrukh Khan et Aishwarya Rai), mais aucune épice ni amourette sucrée. Le propos de Krishna Vamshi s’inscrit à contre-courant de tous ses contemporains. À l’inverse d’un Ashutosh Gowariker (Swades) ou d’un Yash Chopra (Veer-Zaara), il montre une autre facette de l’Inde, celle de la violence extrémiste et des conflits tribaux. Une vision sans concessions, parfois à la limite du supportable.
Nandini est une jeune femme sans histoire, ingénue et intrépide. Elle vit au Canada avec ses deux oncles, qui aimeraient la voir enfin se marier. La belle finit par jeter son dévolu sur son meilleur ami Shekhar, qu’elle croit orphelin depuis toujours. Quelques années plus tard, mariée et mère d’un petit garçon, Nandini voit sa vie basculer : Shekhar, bouleversé par des images d’actualité indienne, décide de retourner au pays, femme et enfant sous le bras. Nandini découvre alors que son mari lui a menti : sa famille est bel et bien vivante. Le cauchemar ne fait que commencer.
Krishna Vamshi n’épargne rien à son héroïne. Les scènes d’introduction, typiquement bollywoodiennes dans leur facture et leur naïveté, ne sont qu’une pause heureuse dans le temps et ne peuvent pas durer. Transportée en quelques minutes d’un bonheur sans histoires au mauvais rêve rempli de haine, ballottée au cœur d’un conflit familial dont elle ne peut comprendre la violence, rejetée par son beau-père, sorte de fou illuminé, Nandini commence par subir. Subir la peur des explosions, la peur des coups, l’angoisse de la violence et le dégoût des meurtres de sang-froid. Mais quand son beau-père se risque à vouloir s’emparer de son enfant, Nandini se relève. Plus question de subir : elle va se révolter, quitte à mettre sa vie en danger.
Évidemment, Shakti, sorte de retour cruel aux racines familiales, a des airs de parcours initiatique. Le propos de Krishna Vamshi est avant tout de montrer comment le plus « faible » des êtres, une femme seule contre une armée d’hommes, une jeune mère qui n’a jamais connu le danger ou le malheur, peut soudain faire face à la pire des situations avec un courage et une obstination surhumains. Shakti, femme du dieu de la guerre, symbole du « pouvoir » dans la philosophie hindoue, devient donc la marque du passage de l’adolescence à l’âge adulte, de la capacité à porter sur ses épaules la responsabilité de sa propre vie. Mais en dehors du film lui-même, Shakti marque la sortie du papillon de sa chrysalide, celle qui enfermait la jolie Karisma Kapoor, petite starlette comme les autres, membre de la grande famille de cinéma des Kapoor, qui devient ici une comédienne à part entière, bluffante dans son expression de la ténacité et de la douleur.
Krishna Vamshi n’innove pas seulement sur le sujet. Sa mise-en-scène diffère fortement des standards du cinéma commercial hindi. Il y a bien quelques effets forcés (gros plans sur les yeux de Karisma Kapoor, contre-plongées brutales), appuyant fortement sur le caractère traumatisant des événements, mais la facture presque documentaire de certaines scènes leur confère un réalisme troublant, d’autant que les couleurs utilisées, très sombres, laissent peu d’espoir au happy-end. Audacieux jusqu’au bout, le cinéaste ménage des pauses aux moments les plus tragiques et se permet quelques scènes burlesques avec la star Shahrukh Khan dans un contre-emploi totalement décalé, comme pour atténuer la violence psychologique de l’histoire. Ou peut-être aussi pour montrer que le passage difficile à la maturité n’est que la voie semée d’épines vers un bonheur futur.