C’est LE film des studios de Bollywood qui fait taire les mauvaises langues et les réconcilie avec les fans de la première heure. Swades est en effet une œuvre qui détonne dans la production commerciale du cinéma indien. Finis l’inconsistant trio amoureux et la rivalité entre good et bad guy… L’histoire que raconte Ashutosh Gowariker est tout autre : celle d’un jeune ingénieur à la NASA, Mohan, qui, de retour dans son pays natal, n’en reviendra pas indemne.
Trois heures trente : une durée qui rebute le spectateur quelconque d’un film quelconque. Mais, comme tout Bollywood qui se respecte, Swades n’est pas seulement un film. C’est un spectacle. Pour être véritablement réussi, il lui faut du temps : le temps de tout dire, le temps de tout montrer. Et puis, surtout, le temps de séduire le spectateur : si les premières minutes de Swades sont de loin les moins réussies du film, dès l’arrivée de Mohan en Inde et la première chanson, la machine est enclenchée. Impossible de ne pas succomber au show délirant qui se joue devant nos yeux.
Swades est un film populaire dans le bon sens du terme, comme Hollywood ne sait plus en faire. On pense forcément aux comédies musicales américaines des années 30 et 40, une époque où l’on offrait des rêves de qualité à un public déboussolé par la tragédie des crises ou des guerres. Le film bollywoodien est un mélange bienheureux, où chaque ingrédient est finement pesé pour que tout semble harmonieux. Dans Swades, les numéros musicaux sont tour à tour entraînants, rêveurs, grandioses ou nostalgiques ; les personnages secondaires sont drôles, émouvants et justes ; la mise en scène, élégante et discrète, magnifie les chorégraphies ou accentue les décalages… À l’image des films de Hawks, Capra ou Busby Berkeley, le rythme est seul maître à bord. Sauf qu’ici, le métronome a été réglé à un tempo où la virtuosité laisse la place à la délicatesse et à la mélodie des mouvements.
Trois heures trente, c’est aussi un espace formidable quand on s’appelle Ashutosh Gowariker et que l’on a décidé de ne pas exclure la réflexion derrière le beau rideau de la fantaisie. Après le fameux Lagaan, sorti en 2001 – et dont le succès a heureusement ouvert les salles françaises à d’autres films bollywoodiens –, le cinéaste continue à étonner par l’audace et l’originalité de son propos. Car une fois payé le tribut à la tradition musicale et colorée de Bollywood, Gowariker peut se permettre des choses rarement vues ailleurs : une escale dans les quartiers des « basses castes », un voyage traumatisant à la découverte de la misère, un discours réprobateur destiné à secouer des traditions rétrogrades…
Swades, c’est Bollywood qui découvre une autre Inde, où les héros ne roulent pas en Porsche et ne pleurent pas sur des peines de cœur futiles. Cette Inde-là, bien sûr, est plus belle que tous les clichés et Gowariker est attentif à en montrer les aspects les plus contrastés : le temple millénaire au bord de l’eau, magnifique mirage d’une beauté à couper le souffle ; ou la cabane du fermier, dont les enfants doivent dormir à même le sol, et dont les larmes se devinent plus qu’elles ne se voient dans l’obscurité d’une vie sans électricité. Alors, l’histoire d’amour pour laquelle notre cœur bat, ce n’est pas celle de Mohan avec la jolie institutrice Gita, presque secondaire. C’est celle d’un expatrié avec sa terre natale, mille fois plus accueillante que la terre moderne, mais sans âme, des États-Unis. Lorsque Mohan, qui ne jurait que par ses bouteilles d’eau minérale, accepte le verre d’eau tendu par un jeune Indien, la scène fonctionne comme une véritable déclaration d’amour, et cet aveu est aussi émouvant que le premier baiser attendu entre un héros et une héroïne.
Pour clore le tableau, n’oublions pas de saluer la performance de Shahrukh Khan, la mégastar du cinéma indien, magnifique héros de Devdas, dont on ne se lasse plus d’admirer l’incroyable présence, et que l’on découvre avec bonheur capable de sobriété. Inutile de dire alors que les trois heures trente de Swades paraissent moins longues que les quatre-vingt-dix minutes des films ordinaires. C’est ce paradoxe qui fait l’originalité et la richesse du cinéma indien.