Le retour derrière la caméra du mythique réalisateur de Bollywood, Yash Chopra, était plus qu’attendu. Après Dil To Pagal Hai, jolie comédie romantique un peu datée, réalisée en 1997, Chopra s’était retranché derrière sa casquette de producteur, avec un succès impressionnant : de Dilwale Dulhania Le Jayenge (1995) à Salaam Namasté en 2005, les productions Yash Raj sont à l’origine des plus grands hits du cinéma populaire, ceux qui engrangent des recettes phénoménales et font connaître les plus grandes stars. Sans Yash Chopra, que seraient Shahrukh Khan, Kajol, Aishwarya Rai ou Rani Mukherjee aujourd’hui ? Depuis ses débuts en 1959, Chopra s’est posé comme le maître des jeux à Bollywood, celui qui fait les règles et lance les modes. Avec Veer-Zaara, sans doute l’un de ses plus beaux films, il confirme l’évolution de Bollywood vers des films sinon plus réalistes, du moins plus conscients d’une certaine réalité.
Veer-Zaara, au fond, ne pourrait être qu’un archétype de ce que Bollywood fait de mieux. L’image, d’une époustouflante beauté, et les décors irréels (les champs de fleurs, les palais luxuriants et même la prison pakistanaise) correspondent parfaitement à l’idée de spectacle total que l’on se fait du cinéma populaire hindi. Trois heures d’oubli total du quotidien : c’est ce qu’offre le cinéma de Yash Chopra, sans a priori, ni mépris pseudo-intellectualiste. C’est un cinéma qui joue avec des plaisirs simples : le glamour des acteurs et la folie douce de la comédie musicale. Ainsi pour Veer-Zaara, les plus grandes stars ont répondu à l’appel de leur mentor : de Shahrukh Khan (Devdas, Swades) que Chopra mit en vedette dans Dilwale Dulhania Le Jayenge, à Amitabh Bachchan, qu’il lança dans les années soixante-dix en lui offrant les rôles d’ « angry young man » qui firent sa réputation. Du côté des numéros musicaux, Chopra se situe encore dans le plus haut standing : avec Javed Akhtar (Swades, Lagaan, Kal Ho Naa Ho) comme parolier et Madan Mohan (compositeur de musiques de films des années 1950, aujourd’hui décédé) à la musique, il assure à Veer-Zaara l’extravagance qui enchante les amateurs d’un cinéma axé sur la sensation du rêve.
Veer-Zaara, au fond, pourrait se limiter à ces éléments traditionnels sans démériter. Dans le genre, c’est une série A de luxe. Mais le film de Yash Chopra a quelque chose de plus. Une habileté de vieux faiseur, dirait-on. Et puis, surtout, une grande intelligence de mise en scène, où s’entremêlent cinéma et religion. La comparaison n’est pas trop forte : dès l’apparition de Shahrukh Khan, face caméra, au début du film, le statut surhumain de l’acteur (et, par extension, de ses partenaires) est définitivement confirmé. Au fur et à mesure que se déroule l’histoire (traditionnel amour impossible, ici entre Veer l’Indien et Zaara la Pakistanaise), les références sont de plus en plus criantes : vers la fin, alors que Veer et Zaara se retrouvent devant la porte d’une immense cathédrale, il y a quelque chose de la gravure religieuse longuement contemplée, à la fois dans la forte expressivité de leur visage et leur quasi immobilité physique. Enfin, les numéros musicaux – comme le magnifique Lodi – se transforment un peu, grâce à leur agencement chorégraphique, en un immense et joyeux rituel. Dans cette esthétique du sacré, le cinéaste tient lieu de maître de cérémonies, hypnotisant à la fois les acteurs de son film, qu’il conduit parfaitement là où il l’entend, et les spectateurs, fascinés par le conte exemplaire qui se déroule sous leurs yeux.
Exemplarité de l’histoire : plutôt que dans la forme, digne des meilleurs films hindi, c’est dans le fond que le cinéaste « assure » le moins. Cinéaste d’origine pakistanaise, Chopra s’est beaucoup impliqué dans cette histoire d’amour niant les frontières et prônant la réconciliation entre les deux grands ennemis de la Partition de 1947. Il prend parfois le ton autoritaire du pédagogue, comme avec la chanson « Aisa Des Ai Mera » (« Ceci est mon pays »), pour expliquer que les différences entre les pays sont si infimes qu’il est presque inutile, voire impossible, d’en parler. Le message est beau mais simpliste, comme engoncé dans les codes immuables du genre. On sent pourtant qu’à la manière d’un Ashutosh Gowariker (Swades) ou d’un Mani Ratnam (Dil Se, Bombay), Yash Chopra aimerait donner une conscience à Bollywood. L’objectif n’est pas tout à fait abouti ? Qu’importe ! Le plaisir, lui, est intact. À voir impérativement sur grand écran.