Vanté pour son caractère indépendant et décalé dans le paysage cinématographique américain, Sideways illustre mal son propre titre (prendre « la tangente ») en suivant des chemins de traverse beaucoup trop bien tracés pour pouvoir revendiquer d’une quelconque manière le qualificatif de film «à part». Road-movie ultra-conventionnel, le film manque en effet d’audace et de prise de risques tant dans le grotesque policé des personnages que dans le rythme bien plan-plan du scénario.
Principal ressort comique du film, le choix d’un couple dissemblable et complémentaire formés par les deux héros, Miles et Jack, abuse des oppositions burlesques et rabattues qui naissent de la cohabitation des deux personnages. Ces derniers frisent la caricature dans le genre loser subissant de plein fouet la crise de la quarantaine.
Le début du film effraie d’ailleurs par son manque de finesse, notamment à travers la représentation de la mère de Miles, symbole outrancier d’une Amérique profonde et décérébrée. Sommet de la scène, son fils n’hésite pas à lui voler quelques billets, cachés dans un tiroir de la commode, comme le ferait un enfant ayant dépensé tout son argent de poche.
C’est là une manière de nous introduire au pathétique du personnage, pathétique qui ira crescendo tout au long du film, sans parvenir toutefois à une approche véritablement fouillée de l’intériorité des personnages.
Miles est en effet un écrivain en mal d’éditeur, alcoolique en puissance et divorcé: comme ça fait beaucoup pour un seul homme, la dépression qui le ronge menace de ressurgir à tout moment. Jack, son meilleur ami, acteur déclinant, trop bronzé pour être fidèle, drague quant à lui tout ce qui bouge. Ils entreprennent tous deux de suivre la Route des Vins californienne durant une semaine afin d’enterrer officiellement la vie de garçon de Jack, qui doit se marier à leur retour. Le scénario, basé sur le décalage constant entre les caractères et les frustrations respectives des deux personnages, aurait pu être porteur en soi d’une drôlerie véritablement désopilante.
Malheureusement, l’ensemble reste plat et linéaire. On attend en vain un vrai vent de folie qui bouleverserait le fil de l’histoire. Les deux ou trois scènes réussies et hilarantes témoignent de la présence avortée d’un grotesque plus décalé qui n’est qu’entraperçu dans le film.
Pourtant, le ton en permanence sur le fil du rasoir, entre rire et larmes, permet au réalisateur de complexifier la figure de Miles, clown pathétique, intello pessimiste que certains vont jusqu’à comparer à Woody Allen. La différence reste ici que les dialogues n’ont ni la répartie, ni la pertinence de ceux écrits par ce dernier. Toutefois, la dernière demie heure de Sideways rachète en partie certains défauts du film, ne serait-ce que pour le désenchantement, poignant pour le coup, de Miles, buvant son Cheval Blanc 1961, dans un gobelet de fast-food…
En revanche, si la dernière scène modère un happy-end trop convenu en nous laissant sur un geste suspendu, dans une position d’attente qu’aurait rompue toute image supplémentaire, le sens qui émerge du sort facile laissé aux deux losers, semble là encore un raccourci classique et réducteur qui aboutit à une fin légère et superficielle.
Ainsi, à l’instar des deux personnages qui s’essoufflent vite quand il leur prend de se mettre à courir, l’ensemble de ce road-movie pépère manque d’imagination et se complaît dans la description de la beauferie des protagonistes. Il est dommage en ce sens que le réalisateur choisisse la facilité en insérant des plans qui reprennent une certaine esthétique publicitaire, avec lumière du soleil couchant, cadres multiples à l’écran et multiplication des fondus enchaînés.
De tels procédés auraient pu donner lieu à un véritable second degré, qui, en parodiant les spots touristiques sur la Californie, élèverait le film vers une dimension ironique. Mais ces possibilités restent artificielles et non signifiantes dans le déroulement du film: Sideways ressemble ainsi à l’image d’un visage au sourire timide dont l’absence de personnalité et le charme trop conventionnel ne laisse tout au plus à l’esprit qu’un vague souvenir…