Le premier long-métrage de Charlène Favier se fait le récit du corps maltraité de son héroïne, Lyz (Noée Abita), une jeune skieuse victime du désir d’autrui : d’abord celui de ses camarades de sport-études, jaloux de sa réussite, puis surtout celui de son entraîneur Fred (Jérémie Renier), dont la dévorante obsession pour la performance, que la jeune athlète pourrait satisfaire par procuration, débouche sur des pulsions sexuelles autoritaires et criminelles. La trajectoire de ce corps pris au piège est scandé par la respiration de Lyz, qui se charge à plusieurs reprises de connotations symboliques. Dès la première image (floue) du film, le souffle haletant de la jeune fille occupe en crescendo toute la bande sonore, seule réponse possible aux injonctions du coach, dont les propos dégradants et insidieux cherchent à provoquer l’émulation entre les athlètes. La respiration, omniprésente lors des scènes de ski (Lyz aspire à devenir une championne olympique de descente) mais aussi de natation, de musculation et de footing, allégorise ainsi l’émancipation d’un corps par l’effort, qui se distingue autant qu’il s’isole des autres. Ce même souffle saccadé vient ensuite masquer les pénibles justifications d’une mère qui abandonne sa fille aux griffes de son coach (Lyz préfère s’entraîner que l’écouter), avant de devenir le symbole de la douleur et de l’angoisse ressenties par la jeune fille une fois que son entraîneur a abusé d’elle sexuellement. Le corps se révèle alors contraint et ses pulsations ne témoignent plus que d’une terrible affliction.
La montagne sacrée
Cadrant au plus près de la peau et des muscles de son actrice (le film multiplie à outrance les gros plans), la cinéaste filme son héroïne en martyr et donne à son récit la forme d’un chemin de croix. La première partie du film reste en cela très programmatique, dans la mesure où chaque personnage secondaire a pour unique fonction de mener Lyz à son supplice : la mère n’intervient que pour annoncer l’abandon à venir, ses camarades la mettent à l’écart et la poussent à se rapprocher de Fred, la compagne de ce dernier se retire à son tour, la laissant seule avec lui. Quand le crime sexuel survient, par deux fois, la cinéaste filme l’agression dans toute sa durée, de telle sorte que la mise en scène se concentre sur l’insoutenable souffrance infligée au corps de Lyz : comment il est souillé (le sperme dans la main de la jeune fille), comment il est blessé (le sang qui s’écoule de son sexe). Si la cinéaste réussit à faire ressortir la cruauté inouïe de ces scènes de viol, ces dernières se bornent à susciter une indignation et une répulsion. Le film échoue ainsi à traiter son sujet brûlant, les abus sexuels dans le sport de haut-niveau, autrement qu’en surface (celle des corps). La part d’ombre de la figure du coach sportif, explorée au cinéma ces dernières années avec succès (cf. le portrait fouillé de John du Pont dans Foxcatcher), reste ici esquissée à gros traits : Fred a deux visages, celui d’un entraîneur charismatique, exigeant et protecteur qui veut mener sa jeune athlète vers les sommets (les répliques de Jérémie Renier alternent exclusivement entre menaces et encouragements) et un autre, brutal et destructeur, qui surgit littéralement dans l’ombre (qu’il s’agisse d’une voiture perdue dans la nuit ou d’une salle de musculation éclairée en clair-obscur). En somme, il est le « grand méchant loup », comme le suggère le recours appuyé à la métaphore du Petit chaperon rouge. Prisonnière de ses archétypes, Charlène Favier peine donc à filmer l’ambiguïté du rapport que nouent Fred et Lyz, et le cheminement de cette dernière pour s’en libérer.
Dans les plis d’un récit à la fois trop balisé et didactique dans sa manière de déplier la mécanique qui mène à l’abus sexuel, la cinéaste explore toutefois d’autres pistes de mise en scène qui, sans être investies pleinement, suscitent davantage l’intérêt. Dans la scène dont est tiré l’affiche du film, Charlène Favier amorce par exemple un virage tardif vers le genre du thriller érotico-psychologique : les deux protagonistes, baignés d’une lumière rouge irréaliste qui semble allégoriser l’intensité de leur désir, s’inscrivent dans un décor en suspension, ouvert sur le paysage. Par l’entremise d’un travelling compensé, la mise en scène donne alors l’impression que la blancheur immaculée de la montagne sacrée en arrière-plan s’apprête à engloutir les personnages et leurs basses passions. Si le film n’exploite pas tout à fait ce virage narratif (le désir de Lyz pour Fred, un temps ambigu, se révèle vite être avant tout le fruit d’une dépendance affective), la cinéaste se montre plus inspirée dans cette approche onirique, qui fait enfin usage du décor alpin. C’est que la singularité de Slalom repose avant tout sur ce cadre géographique : la station de ski et son architecture en kit, comme un avant-poste de l’humanité en terre hostile, avec ses dameuses illuminant seules la nuit, ses hideuses remontées mécaniques, ses sponsors omniprésents, et ses athlètes des neiges sans cesse en quête d’adrénaline. Lyz trouve d’ailleurs un semblant de réponse à ses malheurs dans la contemplation de l’immensité des paysages qui l’entoure : la montagne, immuable, dangereuse et pour toujours inaccessible aux vaines ambitions des hommes. Avec elle, la cinéaste semble détourner son regard des lourdes tribulations de ses personnages pour mieux sonder la symbolique que recèle son décor. Et ce refrain de résonner en creux, contenant dans sa contradiction un beau problème de cinéma : « pourtant, que la montagne est belle ! »